Drague muette
Mots. Radio. Infos. Journaux. Télévision. Magazines. Interviews. Evénements. Musique. Bruit. Rumeur. Talk-show. Invités. Messages. Images. Reportages. Abondance. Zapping. Surf. Exclusivité. Ultrarapide. Courir. Discourir. Nourrir. Ingurgiter. Débit. Débilité. Continu. Surinformation. Supercommunication. Spirale. Vertige... Chut!
Publié le 23-01-2004 à 00h00
Mots. Radio. Infos. Journaux. Télévision. Magazines. Interviews. Evénements. Musique. Bruit. Rumeur. Talk-show. Invités. Messages. Images. Reportages. Abondance. Zapping. Surf. Exclusivité. Ultrarapide. Courir. Discourir. Nourrir. Ingurgiter. Débit. Débilité. Continu. Surinformation. Supercommunication. Spirale. Vertige... Chut!
Notre époque si volubile finirait-elle paradoxalement par produire du vide? Ce grand bavardage ininterrompu conduirait-il tout droit au silence, à l'extinction des sons? En partie sans doute. C'est le principe de réaction qui veut ça. Tout mouvement génère son contraire. En l'occurrence, la méthode du speed-dating, ces rendez-vous express à la chaîne pour célibataires en quête d'âme soeur (ou en mal de relations), où il convient que le participant maîtrise un tant soit peu l'art de la «tchatche» pour tenter d'en savoir le plus possible sur son interlocuteur en un minimum de temps (généralement entre cinq et dix minutes), cette méthode a désormais son contraire.
Un nouveau type de soirée fait fureur dans l'univers des rencontres amoureuses - Londres et, dernièrement, Paris exploitent déjà le concept. Mais, comme son nom l'indique, la quiet party fait fureur en silence. La règle d'or est de ne pas y prononcer un seul mot, de ne pas y produire un seul son. Que l'on y vienne seul ou en groupes d'amis.
Comment, dès lors, se rencontrer dans un cadre apparemment si austère? Simplement en communiquant autrement. En misant sur d'autres moyens, comme la gestuelle, les mimiques, le contact, voire les signes. Car si la rencontre est obligatoirement muette, elle peut s'agrémenter d'une conversation... écrite. A l'entrée, chaque participant se voit remettre du papier et un stylo à bille.
Voilà qui devrait convenir à tous ceux qui n'ont pas la verve d'un Cyrano, ou le bon mot facile. Pas besoin d'être poète pour autant. D'ailleurs, d'après les pionniers de ces soirées, cet échange de notes permettrait même de communiquer des pensées que l'on n'arriverait pas à formuler verbalement. Point de dépaysement non plus: les bouts de papier doivent raviver les souvenirs des consommateurs de «message party», un autre type de «plan drague» apparu il y a quelques années, où chacun recevait un numéro à communiquer en fonction des affinités développées en cours de soirée.
A la base du silent dating, une initiative américaine. «Deux artistes new-yorkais sont à l'origine de cette révolution silencieuse dans l'univers de la nuit où les gens ne socialisent que par l'entremise de l'écriture. Un soir d'été 2002, Paul Rebhan et Tony Noe errent dans les rues de Manhattan. Ils cherchent un endroit paisible pour converser autour d'un verre. Impossible. (...) C'est de cet échec que naît, à New York, en novembre 2002, la première quiet party avec quelque 130 personnes», révèle Le Monde, dans son édition du 15 janvier dernier.
Le ton de la soirée, généralement organisée dans un bar, n'est pas plombé pour autant. Les conversations muettes, qui se tiennent dans le bien nommé «espace silencieux», sont bercées d'une musique de fond. Histoire de réduire tous bruits involontaires, tintements de verres, déplacements de chaises, toux mal contenue... Mais à partir de 21 heures, changement de cap. La soirée fait débouler ses décibels, propices à un autre langage, celui des corps. A partir de ce moment, les vigiles qui veillaient au respect du silence dans les conversations se retirent sur la pointe des pieds. La musique couvre alors les premiers mots des conversations verbales qui, enfin, se nouent. Il faudra attendre un peu pour enfin entendre la voix de son interlocuteur.
Moralité: la soirée silencieuse prouve qu'il ne faut pas nécessairement faire du bruit pour converser et s'amuser. Elle redéfinit le concept habituel de relation en ranimant les sens habituellement anesthésiés par la toute puissante conversation verbale. Par extension, la quiet party pourrait même devenir une alternative de choix aux traditionnels environnements bruyants des bars urbains. Le silence, le vrai luxe?
www.quiet-party.com
© La Libre Belgique 2004