Janacek ouvre le Château de Bartok
- Publié le 28-01-2007 à 00h00
- Mis à jour le 15-04-2007 à 00h00
Critique
Depuis la Monnaie jusqu'à l'Opéra de Paris en passant par Salzbourg, Gérard Mortier a toujours défendu et promu les opéras de Leos Janacek. Il fait cette fois un pas de plus en unissant, sous les ors du Palais Garnier, "Le journal d'un disparu" - cycle de mélodies avec piano orchestré pour l'occasion - au "Château de Barbe-Bleue" de Bartok.
Tchéquie et Hongrie, deux oeuvres presque contemporaines - dix ans à peine les séparent, "Le Château" ayant été créé en 1910 et "Le journal d'un disparu" achevé en 1920 - et, au-delà de la disparité des formes originales, une évidente similitude d'histoires : un couple où l'homme est séduit, et conduit, par une femme très différente de lui.
Connu pour son dynamisme, son éclectisme et ses lectures wagnériennes (tant scéniques que musicales) dans son Festival d'Erl, Gustav Kuhn est aussi compositeur : mais c'est dans une grande fidélité à l'esprit et au style de Janacek, sans nullement se l'approprier, qu'il a orchestré "Le journal d'un disparu", réussissant, en recourant à un instrumentarium équivalent à celui du "Château", à restituer le mélange de doute, de nostalgie et de sensualité qu'appelle l'oeuvre.
Incarnation idéale
Chez Janacek comme chez Bartok, sa baguette sait ménager fulgurances et mystère, impressionnisme et expressionnisme, avec un orchestre de l'Opéra de Paris aux sonorités somptueuses. Sur scène, quatre excellents chanteurs offrent le répondant idéal : sans être nécessairement les voix les plus parfaites qui se puissent rêver pour leur rôle, ils en sont une incarnation idéale parce qu'ils mêlent crédibilité scénique, engagement dramatique et capacité vocale : le ténor allemand Michael Koenig et la mezzo-soprano tchèque Hannah Esther Minutillo pour Janacek, sa collègue française Béatrice Uria-Monzon et le baryton-basse jamaïcain Willard White pour Bartok.
Sexe et vidéoMais la puissance du spectacle vient aussi et surtout de la mise en scène du groupe La Fura dels Baus.
Pas de provocation (ni de matelas gonflables, comme les Catalans en avaient mis dans leur "Flûte enchantée" de l'Opéra Bastille), mais une mise en scène véritablement moderne qui sait aller à l'essentiel en évitant le superflu. Une, voire deux mises en scène car, hormis l'apparition de minces bandes de plastique sur lequel sont inscrites en traduction française des phrases du livret, rien ne réunit vraiment les deux univers scéniques.
"Le journal d'un disparu" voit le narrateur Janik émergeant à peine d'un trou de citerne dans la scène, sorte de Jokanaan que viendra enlacer de ses immenses jambes une Zefka moins agressive, mais non moins provocante, que Salomé; la référence au drame de Wilde et Strauss s'impose pourtant, d'autant plus qu'on verra un instant une tête coupée à l'effigie du ténor. Ces positions de domination et de soumission ne les empêcheront pas de s'aimer, quelques figurants en collants venant sensuellement ramper autour d'eux. La vidéo apparaît avec le prologue du "Château de Barbe-Bleue", sous la forme - splendide - d'un film façon expressionnisme allemand, projeté sur un tulle invisible, où les personnages de Judith et Barbe-Bleue semblent se poursuivre dans les escaliers - démultipliés en kaléidoscope - du grand hall du Palais Garnier.
La mise en abysse se poursuivra avec l'ouverture des diverses portes, d'autres lieux du mythique opéra et de ses alentours surgissant dans des formes toujours renouvelées. Le vent, la lumière et la pluie viendront s'ajouter aux images pour créer un univers scénique à la fois virtuel et d'une présence prodigieuse, le tout donnant un des plus beaux spectacles lyriques qui se soit vu depuis longtemps à Paris et ailleurs.
Paris, Palais Garnier, jusqu'au 16 février; www.operadeparis.fr