La bourse ou la vie de condamné ?

Certaines réformes législatives répondent à un besoin exprimé majoritairement par les citoyens ou mettent fin à d’homériques discussions en tranchant les controverses qu’elles alimentaient. En cela, ont-elles pour mérite d’être consensuelles ou apaisantes. La nouvelle loi modifiant les règles qui régissent la transaction pénale n’est, assurément, pas de celles-là. Cette loi (1) rédigée, adoptée aussi hâtivement que discrètement - entrée en vigueur le 16 mai dernier - ne laisse pas de surprendre. Que prévoit-elle en substance ? Un sensible élargissement des possibilités de transaction - i.e. extinction des "poursuites judiciaires", de l’action publique moyennant le paiement d’une somme d’argent.

François Dessy, avocat au barreau de Huy Dimitri de Beco, avocat au barreau de Bruxelles Certaines réformes législatives répondent à un besoin exprimé majoritairement par les citoyens ou mettent fin à d’homériques discussions en tranchant les controverses qu’elles alimentaient. En cela, ont-elles pour mérite d’être consensuelles ou apaisantes. La nouvelle loi modifiant les règles qui régissent la transaction pénale n’est, assurément, pas de celles-là. Cette loi (1) rédigée, adoptée aussi hâtivement que discrètement - entrée en vigueur le 16 mai dernier - ne laisse pas de surprendre. Que prévoit-elle en substance ? Un sensible élargissement des possibilités de transaction - i.e. extinction des "poursuites judiciaires", de l’action publique moyennant le paiement d’une somme d’argent.

Antérieurement, le ministère public pouvait proposer, durant l’enquête, une transaction pour les infractions punissables d’une peine de 5 ans d’emprisonnement et/ou d’une amende. Seuls les contraventions et délits étaient par conséquent visés.

Aujourd’hui, une transaction peut être autorisée par le parquet - pour tout type d’enquêtes en ce compris celles dirigées par un juge d’instruction, à tous les stades de la procédure et ce, jusqu’à ce que la cause soit définitivement tranchée - en cas de crimes correctionnalisables (termes réservés aux infractions singulièrement graves jugées par le tribunal correctionnel en lieu et place de la cour d’assises en raison de circonstances atténuantes admises en faveur de la personne poursuivie) dont la peine maximale ne dépasse pas vingt ans de réclusion. En clair et à titre illustratif, toute personne suspectée d’avoir commis viol, tentative de meurtre, vols aggravés, actes de torture... pourrait, en desserrant les cordons de sa bourse, techniquement éviter les foudres de la répression, l’avanie d’une comparution en justice et les affres d’une condamnation.

Certes, la loi tempère la rigueur du raisonnement, poussé, ici, à son ultime logique. Toute transaction reste légalement proscrite pour des faits portant gravement - qu’est-ce à dire ? - atteinte à l’intégrité physique, à l’estime du parquet ou justifiant, à ses yeux, un emprisonnement supérieur à deux ans (2). La transaction demeurera une simple faculté laissée à la souveraine appréciation du parquet, lequel doit obtenir, de surcroît, l’aval de la victime. Certes, l’esprit qui a présidé à l’élaboration de la loi voulait qu’on permette de transiger en matière d’infractions fiscales et financières (3) (faux et usage de faux en écriture, passibles de peines criminelles, notamment - étonnant paradoxe entretenu par une criminalité en col blanc rarement impécunieuse). Certes, les modalités d’application de la procédure tendent à rationaliser l’évaluation des sommes versées de manière transactionnelle (conservation du plafond correspondant au montant de l’amende prévue légalement en cas de condamnation et exigence de proportionnalité de la somme à la gravité de l’infraction). Les exemples précités, aussi aberrants soient-ils, n’en conservent pas moins leur pertinence. Un avocat pourrait, théoriquement, solliciter la mise en œuvre d’une transaction en pareils cas.

Trêve de présentation. Place à la critique. Et Dieu sait si elle est protéiforme : à chaque commentateur de la loi, son observation.

Ses défenseurs soutiendront qu’elle permettra peut-être d’éviter, à l’avenir, le récent fiasco (prescription, irrecevabilité des poursuites, dépassement du délai raisonnable ) de certains dossiers de fraude à grande échelle.

Ses détracteurs y verront le témoin d’une américanisation grandissante de la procédure pénale.

A l’instar de son homologue américain, notre procureur - dont la fonction n’est pas élective, tant s’en faut, gage d’indépendance - peut, somme toute, négocier en dehors du prétoire, l’issue d’une affaire criminelle, fut-elle correctionnalisable et en sceller irrémédiablement le sort. Ainsi joue-t-il, à plein et à pur, le rôle de juge. Sans pour autant être soumis à une obligation de motivation, une simple description des faits relatifs à la transaction pouvant suffire. Seconde preuve par l’exemple: l’argent. La place centrale que lui accorde la loi évoque les dérives de la justice de l’Oncle Sam - généralisation de la libération sous caution aux montants parfois vertigineux, dommages et intérêts à des fins punitives et non réparatrices... qui trahissent les fondements - pour ne pas écrire les travers - de son système économique. Un capitalisme, un mercantilisme exacerbé, un libéralisme sans bride.

D’aucuns pointeront du doigt le sentiment d’impunité qu’une transaction génère dans le chef de celui qui, pour toute "sanction", verse quelques deniers. La punition induit l’amendement. De même que le spectre de l’aggravation de peine en cas de récidive. L’impunité, achetée à bon compte, sous le sceau du secret, ne produit, elle, aucune conscientisation personnelle ou -par la force de l’exemple - collective.

Nos principaux sujets d’inquiétude sont pourtant ailleurs.

Les chances d’aboutissement d’une transaction s’apprécieront à l’aune des potentialités financières de l’intéressé. Les aspects monétaires y détermineront le dénouement d’une affaire. Faut-il être grand clerc pour le comprendre ? "Pauvre" transaction aujourd’hui généralisée. Nous entendons déjà bruisser de mille échos réprobateurs ses adversaires : loi inique ! Vecteur d’inégalités ! Ferment de discriminations ! Justice à deux vitesses ! Justice de classe ! Alliée des nantis ! Malheur aux pauvres ! Echos auxquels se serait volontiers mêlée la voix d’un La Fontaine : "Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de Cour" (celle du Roi et de son procureur en la circonstance) "vous rendront blanc ou noir". Ou celle, toujours si "juste", d’un Camus : "La richesse soustrait au jugement immédiat, la richesse, ce n’est pas l’acquittement mais le sursis toujours bon à prendre." (4)

Gageons que le procureur - entre les mains duquel se trouve hic et nunc la balance de la Justice - en corrigera les déséquilibres par une application mesurée et individualisée afin que la roche Tarpéienne ne s’éloigne pas, sans raisons justifiables aucune, du "capital".

(1) En réalité, cette modification a été introduite par l’article 84 de la loi du 14 avril 2011 portant des dispositions diverses, modifiant l’article 216bis du Code d’instruction criminelle, relatif à la transaction. Le même article 216bis a été modifié une nouvelle fois par une loi du 11 juillet 2011 (cf. infra).

(2) Ces deux limites n’ont été insérées que par une loi correctrice du 11 juillet 2011. En effet, l’article 84 de la loi du 14 avril 2011 ne le prévoyait pas.

(3) C’est d’ailleurs la commission des Finances et non la Commission de la Justice qui est à l’origine du projet.

(4) Albert Camus, "La Chute", Folio, d. Gallimard 1956, p. 87 et 88.

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