Dans la poésie du mouvement
Dimanche s’est achevé le Festival de danse de Cannes, dirigé cette année et pour la prochaine édition par Frédéric Flamand. L’actuel directeur du Ballet national de Marseille a choisi d’explorer les "Nouvelles mythologies", thème passionnant, intemporel et assez vaste pour être approfondi en 2013 - puisque le festival est biennal. International, aussi. Ainsi le directeur artistique avait-il concocté une programmation ouverte sur de multiples horizons, faisant état des divers langages qu’adopte la danse actuelle, riche en esthétiques diverses, et à l’écoute du corps, de ses avatars comme de sa plénitude. La fréquentation dynamique de cette édition (plus de 10 000 spectateurs, venus de la région cannoise mais aussi d’ailleurs en France et de l’étranger) conforte les organisateurs, ainsi qu’ils le soulignent dans leur communiqué-bilan, dans l’orientation d’un festival "résolument ouvert aux formes les plus contemporaines".
Publié le 29-11-2011 à 04h15
Dimanche s’est achevé le Festival de danse de Cannes, dirigé cette année et pour la prochaine édition par Frédéric Flamand. L’actuel directeur du Ballet national de Marseille a choisi d’explorer les "Nouvelles mythologies", thème passionnant, intemporel et assez vaste pour être approfondi en 2013 - puisque le festival est biennal. International, aussi. Ainsi le directeur artistique avait-il concocté une programmation ouverte sur de multiples horizons, faisant état des divers langages qu’adopte la danse actuelle, riche en esthétiques diverses, et à l’écoute du corps, de ses avatars comme de sa plénitude. La fréquentation dynamique de cette édition (plus de 10 000 spectateurs, venus de la région cannoise mais aussi d’ailleurs en France et de l’étranger) conforte les organisateurs, ainsi qu’ils le soulignent dans leur communiqué-bilan, dans l’orientation d’un festival "résolument ouvert aux formes les plus contemporaines".
Nous donnions écho (cf. LLB du 24/11) aux clones en habit de lumière imaginés par Joanne Leighton dans "Display/Copy Only" et aux codes classiques poussés à l’extrême voire tordus, par Edouard Lock dans la "Nouvelle création" de La La La Human Steps. Les propositions se sont ensuite enchaînées, entre grands spectacles ambitieux et fédérateurs (le très spectaculaire, acrobatique et lyrique "Orphée" de la Cie Montalvo Hervieu ; le toujours impressionnant "Moving Target" de Frédéric Flamand ; le viscéral et rock "Come, Been and Gone" de Michael Clark ; le flamenco revisité par Andrés Marín dans "El Cielo de tu boca") et jeunes projets parfois plus fragiles.
Or la fragilité peut devenir en art tout le contraire d’un défaut. Hiroaki Umeda, par exemple, jeune créateur japonais, n’a étudié ni la danse ni la musique ni même la vidéo. Mais ses performances sont des objets fascinants et sauvages dans l’extrême maîtrise de leur construction. A Cannes, il présentait successivement deux brèves pièces. "Duo" dédouble son propre corps dans une troublante évocation de Narcisse. Ce parallèle absolu et tout-puissant n’évite pas les altérations du double - d’un côté l’homme réel avec sa danse simple et fluide, de l’autre son "reflet" tour à tour éclaté, hachuré, flouté. Le tout enveloppé de sons hypnotiques. Dans "Holistic Strata", il danse avec le pixel, le point démultiplié, comme bombardé par toute la galaxie. Devenu écran, le corps pourtant ne se dissout jamais entièrement et triomphe de ce vertige.
Autre proposition empreinte de modestie, la première création d’Ovaal, compagnie bruxelloise fondée par Cynthia Loemij et Mark Lorimer, tous deux ex-danseurs de Rosas (et interprètes du "Prélude à la mer" filmé par Thierry De Mey, également présenté au festival). "To Intimate", duo accompagné par Thomas Luks au violoncelle, navigue entre l’intimité et l’injonction, évoque le couple de façon parfois très touchante, dans ces moments où la tendresse tempère l’agacement, où la complicité bafouille, où les mimétismes disent l’attachement. S’ils demeurent indéniablement marqués par le vocabulaire d’Anne Teresa De Keersmaeker, qu’ils ont accompagnée durant près de 20 ans, les danseurs développent une dramaturgie fine, une grammaire ludique, voire légère, sans esquiver la profondeur, dans un spectacle truffé de charme.
La fragilité - toujours elle - se pose comme le sujet même, la condition et la beauté infinie du projet mené par Thierry Thieû Niang. Metteur en scène et chorégraphe, il travaille régulièrement avec des non-professionnels, des enfants en bas âge, des autistes, des détenus... Ici, une vingtaine de personnes de 61 à 87 ans, originaires de Marseille et environs. Quatre jours par mois depuis sept ans, l’artiste aborde avec eux des thématiques comme le corps et la ville ou les rapports de générations. Jusqu’à ce que, de ces échanges, naisse comme l’évidence de questionner la façon dont le corps, en l’occurrence le corps âgé, traverse le temps : celui d’une vie mais aussi celui d’un spectacle. "Le Sacre du printemps" s’est profilé ; sur cette trame - et la partition de Stravinsky - s’est construite une spirale de 40 minutes, entre marche et course, entre endurance et repos. Bouleversant, simple et fort, "...Du Printemps !" avait fait sensation à Avignon. On l’espère vivement ici. Alors que Thierry Thieû Niang est par ailleurs cette saison associé au projet de quartier des Tanneurs, à Bruxelles.
"To Intimate" est le 30 novembre à Courtrai, le 7 décembre à Luxembourg, les 21 et 22 décembre à Louvain.