"La Marche" du "baron" Nabil Ben Yadir
Vendredi 12 avril, cité de la Courneuve, à Bobigny, au nord-est de Paris. dans la cour d’un bloc d’immeubles un peu morose, où dominent béton et crépis, la comédienne Lubna Azabal est juchée sur une estrade. Elle harangue une assemblée d’une cinquantaine de personnes : "Cette année, encore, de nombreux Arabes ont été assassinés " Après avoir énuméré la liste des victimes de bavures policières ou crimes racistes, elle conclut : "ça suffit !" Non, la comédienne d’"Incendies" n’est pas devenue une pasionaria. Nous sommes sur le tournage de "La Marche", nouveau film de Nabil Ben Yabir, révélé en 2009 avec le truculent "Les Barons".
Publié le 16-04-2013 à 04h30
Cinéma Reportage à Paris Vendredi 12 avril, cité de la Courneuve, à Bobigny, au nord-est de Paris. dans la cour d’un bloc d’immeubles un peu morose, où dominent béton et crépis, la comédienne Lubna Azabal est juchée sur une estrade. Elle harangue une assemblée d’une cinquantaine de personnes : "Cette année, encore, de nombreux Arabes ont été assassinés " Après avoir énuméré la liste des victimes de bavures policières ou crimes racistes, elle conclut : "ça suffit !" Non, la comédienne d’"Incendies" n’est pas devenue une pasionaria. Nous sommes sur le tournage de "La Marche", nouveau film de Nabil Ben Yabir, révélé en 2009 avec le truculent "Les Barons".
Le film retrace des événements authentiques survenus en France il y a tout juste trente ans. Cet été-là, de violents affrontements opposent la police et des jeunes dans le quartier des Minguettes, dans la banlieue de Lyon. Durant ceux-ci, Toumi Djaïda, président d’une association, est blessé par balle. Cette "bavure" policière fait suite à de nombreuses autres, dans une France marquée par la montée électorale du FN. Les habitants de Minguettes lancent alors l’idée d’une marche pacifiste qui doit relier Marseille à Paris. Cent mille personnes les rejoindront à la Bastille, le 3 décembre 1983.
Pour son deuxième film, le "baron" Ben Yadir fait un sacré bond en avant. De l’ordre de dix millions d’euros, le budget est douze fois supérieur à celui des "Barons". Produit par Chi-Fou-Mi Productions, soutenu par Europacorp (la compagnie de Luc Besson), "La Marche" est un film majoritairement français, même si Nabil Ben Yadir le coproduit via sa société L’Antilope Joyeuse et reste coproduit par Entre Chien et Loup. Le casting est impressionnant : Jamel Debbouze (qui rêvait de travailler avec le réalisateur après avoir vu "Les Barons"), Olivier Gourmet, Lubna Azabal, Vincent Rottiers, Hafsia Herzi, Philippe Nahon, sans oublier Nader Boussandel, tête d’affiche des "Barons". Ce dernier a suscité la rencontre entre Nabil et la scénariste Nadia Lakhdar, qui mûrissait le projet depuis longtemps. "Pour moi, la marche pour l’égalité et contre le racisme, c’était cent mille manifestants à la Bastille, point" explique le réalisateur. "Je ne connaissais pas les origines : quatre gars des Minguettes qui décident de faire une marche pacifiste, comme Gandhi - 1983, c’est l’année où sort le film de Richard Attenborough. Leur inspiration vient de là."
Complicité
Le film suivant un noyau dur de dix marcheurs, les dix comédiens principaux ont presque tous été présents en permanence. Ce qui n’a pas toujours été de tout repos. "C’est un tournage difficile, physiquement" reconnaît Lubna Azabal. En huit semaines, l’équipe a connu les tournages de nuit sous la pluie et la neige. Le jour de notre visite, le soleil tentait encore péniblement de percer une couche de nuages gris et denses. Lors d’une scène très intense, dont nous ne révélerons pas le contenu, le temps tourne à l’orage. "Dépêchons, dépêchons" lance Danny Elsen, le chef opérateur belge, déjà complice de Nabil Ben Yadir sur "Les Barons". Tout le monde se remet en place alors que la pluie redouble d’intensité. Mais personne ne moufte. La prise continue. Chacun sent intuitivement que l’intempérie sert l’émotion de la scène. "Coupez !" lance enfin Nabil alors qu’une "drache" bien belge inonde le plateau. C’est la ruée à l’abri des coursives de la cité, sous les applaudissements collectifs. Vincent Rottiers, ruisselant d’eau, se réjouit : "Super cette pluie ! Les images vont être géniales !" Transie, Hafsia Herzi renchérit : "Je suis impatiente de les voir " Un technicien : "Et tout le monde croira que c’était une pluie artificielle." Nader Boussandel constate : "Sur ce tournage, on a subi des conditions météo dégueulasses, comme les vrais marcheurs."
Dans ces échanges, on sent la complicité qui s’est forgée au sein de l’équipe en deux mois. "Il nous arrive ce qui a dû arriver aux vrais marcheurs, souligne Lubna Azabal : au fil des jours, on s’est apprivoisé les uns et les autres." Le sujet n’est pas étranger à cette solidarité. Chacun y trouve une résonance. "Ma mère est Polonaise, confie Vincent Rottiers. Elle est arrivée en France en 1978. Elle a connu les problèmes des cartes de séjour à renouveler. [ ] On est plus nombreux à être concerné qu’on ne le pense." Hafsia Herzi, née en 1987, reconnaît n’avoir jamais entendu parler des faits, bien qu’elle soit originaire de Marseille, d’où sont partis les marcheurs. "A l’école, on n’en parle pas. C’est quelque chose qui est oublié, trente ans plus tard. "Pour Nader Boussandel, "faire ce film , c’est souligner que rien n’a changé. Personnellement, j’ai pensé au mouvement des Indignés. Les jeunes des Minguettes, qui en avaient marre de se faire tirer comme des lapins, se sont indignés. Mais de manière pacifiste." "La Marche" sortira sur les écrans le 3 décembre 2013, pour le trentième anniversaire des événements.
Lire nos entretiens avec Nabil Ben Yadir et les comédiens sur www.lalibre.be