Révolte sociale et déplacement d’Indiens, un chantier polémique

Meulders Raphaèl

C’est l’un des chantiers les plus importants au monde. L’un des plus polémiques, aussi. Le barrage hydroélectrique de Jirau a d’ailleurs valu à GDF Suez une peu enviée nomination au "Public Eye Awards" consacrant l’entreprise la plus irresponsable en matière d’environnement.

Dès la pose de sa première pierre, Jirau, qui est l’un des deux barrages du complexe Madeira, près de la frontière bolivienne, a fait couler beaucoup d’encre au Brésil. A l’époque, le projet est pourtant largement soutenu par le gouvernement brésilien. Le pays est en pleine surchauffe économique et les fréquentes (et gigantesques) pannes d’électricité le paralysent. L’idée de se lancer dans l’hydroélectrique, qui représente actuellement plus de 75 % de l’énergie produite au Brésil, n’est pourtant pas neuve au Brésil. La dictature militaire des années 70 avait déjà découvert tout "le potentiel hydraulique" de l’Amazonie. Mais le président Lula, plus connu pour sa fibre sociale qu’écologique, donne, dès le début de son second mandat (2006), un nouvel élan à ces constructions, via un plan nommé PAC (Plan d’accélération de la croissance). L’ancien président mise sur la construction d’immenses barrages, la plupart en Amazonie. De l’énergie "100 % verte et nationale", s’enorgueilleront tous les gouvernements brésiliens suivants. Sauf que la plupart de ces mégaprojets ont eu un impact néfaste considérable sur l’environnement, lors de leur construction : assèchement de rivières, destruction de la faune locale, déforestation, déplacement de populations (souvent indiennes) et criminalité endémique dans les nouvelles villes créées près de ces chantiers.

Parmi ces mégaprojets, Jirau est le plus important. C’est aussi l’un des chantiers les plus compliqués, vu la difficulté d’accès de l’endroit, en pleine forêt amazonienne. Le lieu n’est pourtant pas inhabité. La Funai, autorité publique chargée de la politique indigène au Brésil, retrouve, dès la pose de la première pierre, des traces d’Indiens, jusque-là inconnus, à dix kilomètres du chantier de Jirau. D’après la Funai, ces Indiens ont rapidement fui, effrayés par les explosions sur le chantier, vers une zone occupée par des orpailleurs. L’affaire émeut au Brésil et les organisations écologiques reprochent "la non-prise en compte de la présence, dans la région, de groupes d’Indiens isolés extrêmement vulnérables aux contacts extérieurs" . Le consortium explique pourtant avoir eu l’aval de la communauté indienne pour son projet. Le cas divise le pays. "Une poignée d’Indiens peut-elle empêcher le progrès et le bien-être de 190 millions de Brésiliens ?" , s’interroge un éditorialiste de la revue "Isto é". Mais les Indiens ne sont pas les seuls sur les lieux et d’autres habitants de la rivière Madeira, essentiellement des pêcheurs et des chercheurs d’or, se plaignent de leur sort. Le consortium explique pourtant avoir dépensé des dizaines de millions d’euros dans des programmes socioenvironnementaux. En tout, plusieurs milliers de personnes seront déplacées. Or, pour ces Brésiliens, dont la plupart sont relogés dans des villes ultramodernes, la vie a été complètement chamboulée. Certains pêcheurs se sont reconvertis en commerçants, en tenanciers de bars, pour les 25 000 ouvriers affectés au chantier. D’après les médias locaux, la violence et la prostitution gangrènent ces nouvelles villes. "Mon habitation est magnifique, mais où est mon existence ? Quel est l’intérêt d’avoir de si belles maisons si nous n’avons pas de travail" , explique une habitante de Vila Mutum, surnommée la "Nouvelle Jérusalem". D’autres s’interrogent déjà : que vont devenir ces villes, complètement isolées du monde, lorsque le chantier sera terminé et que tous les ouvriers rentreront chez eux ? On estime ainsi qu’une centaine de personnes seulement seront nécessaires pour faire tourner les turbines du barrage.

Mais les failles sociales étaient aussi à l’intérieur même du chantier. Début 2009, "Reporter Brasil" relate que la Justice brésilienne a découvert 38 ouvriers travaillant dans des conditions "similaires à celles de l’esclavagisme" , sur le chantier. En fait, ces ouvriers, "logés dans des conditions indécentes et qui recevaient juste de quoi s’alimenter" , avaient été engagés par un sous-traitant du projet, BS Construtora. En mars 2011, une importante révolte sociale paralyse complètement les travaux. Les ouvriers dénoncent leurs conditions de travail et le manque de sécurité sur le chantier. Plusieurs campements et autobus seront incendiés et la révolte s’étendra à travers différents gros chantiers du pays.

A Jirau, elle ne prendra fin qu’un mois plus tard, suite aux promesses de différents ministres brésiliens. D’après le consortium, cette révolte n’avait rien de social. GDF Suez explique ainsi que les enquêtes de la police ont conclu à "des actes criminels" provenant "d’une petite partie de travailleurs" . Force est de constater que, pour l’heure, Jirau et le complexe Madeira, dont la fin des travaux est prévue en 2015, ont produit davantage de tensions que d’électricité.

Raphaël Meulders

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