Ils se sont tant aimés
Publié le 25-10-2013 à 05h39
scènes Critique Marie Baudet Fréquent sur nos scènes - et celle des Galeries en particulier - comme partout dans le monde, le théâtre d’Alan Ayckbourn, né à Londres en 1939, est l’un des plus joués, traduit en quelque 35 langues. C’est l’adaptation de Claire Nadeau que met ici en scène Martine Willequet avec "Mariages et conséquences" - dont le titre en v.o. est à la fois plus évocateur et plus mystérieux.
"Absent Friends" (1974) conte, à travers la réunion d’un groupe de vieux (au sens d’anciens) amis, ce qu’a de bancal chaque individu : histoires personnelles, croyances fondant les comportements, façade et abîmes. Tout cela, sous la plume féconde et avec la faconde du dramaturge britannique, dévoile de jolis et touchants reliefs. Drôles aussi, sans tomber pleinement dans ce qui aurait pu être un vaudeville à l’anglaise. Car il s’agit plus ici d’un tableau révélant ses couches successives, sa pâte abondante et tourmentée, que d’un récit à tiroirs et rebondissements. Ceux-ci, s’ils ne sont pas absents, naissent du pur langage, et les révélations tiennent avant tout au surgissement des souvenirs.
Danièle, maîtresse de maison légèrement sur les nerfs (Catherine Claeys, attachante), a invité la bande d’amis de jadis pour réconforter Clément, dont la fiancée a tragiquement péri. Tandis qu’on attend le héros/prétexte de ce thé, s’expriment progressivement les rapports de force et individualités en présence. Dany tient en piètre estime Evelyne, jeune maman peu loquace (mi-sexy mi-revêche, par une Valérie Marchant en emmerdeuse plus vraie que nature) qu’elle soupçonne d’avoir une liaison avec son mari Paul. Celui-ci, tout juste rentré du squash, se révèle homme d’affaires à succès doublé d’un époux vaguement borné (Marc De Roy, égal à lui-même). Quant au mari d’Evelyne, Jean, on le découvre expansif, loser, hyperkinétique (Pierre Pigeolet, sans répit). Dotée d’un mari obèse et perpétuellement malade, donc absent, Marianne est l’amie bavarde, bienveillante et supergaffeuse (Aylin Yay, émouvante). Quand enfin Clément paraît (Bernard Cogniaux le sourire vissé au visage), sa supposée peine, transcendée en amour absolu et à jamais parfait par la brutale disparition de Carole, sert de révélateur aux ambitions déçues, aux frustrations, aux concessions qui ont jalonné le parcours des autres.
Vivante et remplie d’échos, cette belle matière bénéficie d’une interprétation énergique. Mais faite d’énergies qui, le soir de la première, ne nous sembleront jamais complètement se rencontrer. Preuve que la force du texte et l’abattage des comédiens, conjugués, ne suffisent pas toujours à bâtir un spectacle mémorable. Manque à celui-ci l’étincelle qui l’aurait fait passer du mode pilote automatique à la conduite buissonnière, celle qui n’a pas peur de se perdre pour mieux se laisser surprendre.
Bruxelles, Théâtre royal des Galeries, jusqu’au 17 novembre, à 20h15 (le dimanche, ainsi que le samedi 2 novembre, à 15h). Durée : 1h45 env. De 10 à 24 €. Infos & rés. : 02.512.04.07, www.trg.be