Washington bouscule les cartes au Moyen-Orient

Lamfalussy Christophe

Iran Analyse Christophe Lamfalussy L’accord avec l’Iran sur le nucléaire signe un changement majeur de la politique étrangère des Etats-Unis. S’il est appliqué de bonne foi des deux côtés de la table, il peut redistribuer les cartes au Moyen-Orient et aider à résoudre bien des difficultés, de la guerre en Syrie jusqu’à la montée des talibans en Afghanistan.

Sur ce point, tous les experts s’accordent. Le simple fait pour Washington d’avoir repris langue avec les Iraniens, 34 ans après la chute du Shah d’Iran en 1979, est un événement stratégique majeur. Il permet aux Etats-Unis de sortir de leurs alliances trop étroites au Moyen-Orient, notamment avec Israël et l’Arabie saoudite, et de repenser une politique qui ne soit plus fondée uniquement sur leur dépendance énergétique à l’égard des pays du Golfe. "Les Etats-Unis et l’Iran ont plusieurs sujets d’intérêt commun, comme l’avenir de l’Irak, de l’Afghanistan et de la Syrie, la libre circulation du pétrole et la lutte contre le trafic de drogue", se félicite l’"American Iranian Council", le seul think tank américain, fondé en 1997 par Cyrus Vance, qui se soit opposé à la politique d’isolement international de l’Iran.

Diplomatie secrète

Mais beaucoup d’experts gardent aussi une extrême prudence. L’accord, préliminaire, ne tiendra que si le président Obama résiste aux critiques d’un Congrès (dont la Chambre des représentants est à majorité républicaine), toujours enclin à relayer les doutes d’Israël, et si l’aile conservatrice du régime iranien, nourri à l’antiaméricanisme, ne torpille pas le projet du président Hassan Rohani.

"Si le pouvoir iranien peut redevenir un régime normal, avec une donne idéologique moins forte et une approche pragmatique plus forte, alors la situation changerait pleinement au Moyen-Orient. L’Iran pourrait redevenir le principal acteur du golfe Persique", souligne Thierry Kellner, spécialiste de l’Iran à l’ULB.

L’"Associated Press" (AP) a révélé dimanche que des diplomates américains, emmenés par William Burns, avaient secrètement rencontré une délégation iranienne en mars dernier à Oman et qu’au moins quatre autres rencontres avaient suivi. Le petit sultanat est depuis des années l’intermédiaire entre Téhéran et Washington.

Ceci démontre que l’accord conclu à Genève est basé sur une modification des relations entre les deux ennemis. L’Union européenne a joué un rôle important dans l’établissement des sanctions contre l’Iran, mais c’est la diplomatie secrète, américaine, qui a obtenu au bout du compte des résultats, avant même que l’Iranien Rohani ne soit élu président en juin. Obama a prévenu le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou de ses manœuvres en septembre, puis les cinq autres partenaires de négociation - la Russie, la France, le Royaume-Uni, la Chine et l’Allemagne, selon AP.

Pourtant, nous dit Ali Vaez, le consultant de l’"International Crisis Group" sur l’Iran, "trois décennies de méfiance et d’animosité ne peuvent pas être renversées en une nuit". Pour lui, "il n’y a pas encore de preuve que les Etats-Unis se réalignent stratégiquement au Moyen-Orient". L’expert note cependant la répulsion du président Obama à utiliser des moyens militaires.

Etranglé par les sanctions internationales, sous la pression de son opinion publique et de ses commerçants, l’Iran a cherché à sortir de cet imbroglio avant même qu’Ahmadinejad ne quitte le pouvoir. Mais la montée en puissance de l’ancienne Perse ne fait pas que des heureux. L’Arabie saoudite a salué très mollement lundi l’accord de Genève, parlant d’un "premier pas vers un règlement global", tandis qu’Israël condamne "une erreur historique". Le monde arabe, dont l’Iran ne fait pas partie, n’oublie pas les tentatives de déstabilisation par la république islamiste via des groupes comme le Hezbollah au Liban et redoute que l’Iran ne devienne une puissance nucléaire.

Le premier test, très pratique, de la bonne volonté des uns et des autres pourrait concerner la Syrie. L’Onu a annoncé lundi que le deuxième round de négociations de paix se tiendrait à Genève le 22 janvier. La liste des invités n’est pas close. L’Iran pourrait être de la partie. L’Arabie saoudite aussi. Les deux pays jouent un rôle direct dans le conflit syrien et sont désormais considérés par beaucoup comme incontournables pour mettre fin à la tragédie.

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