Les magistrats trop curieux dans le collimateur du régime kirchnériste

Dussart Teresita

Argentine Teresita Dussart Correspondante à Buenos Aires La "décennie gagnée", slogan du kirchnérisme, se termine comme elle avait commencé : par le limogeage d’un magistrat instruisant une affaire exposant des malversations dans l’entourage présidentiel. Le procureur José Maria Campagnoli a été mis à pied vendredi dernier, dans le cadre d’une de ces procédures express dont le régime a le secret. Il demande l’annulation de la mesure.

M. Campagnoli enquêtait sur l’homme de paille du couple formé par Nestor Kirchner, président de 2003 à 2007, et Cristina Fernandez, chef de l’Etat depuis 2007, le fidèle Lazaro Baez.

Caméra cachée

Régulièrement épinglé pour des soupçons de corruption, Lazaro Baez avait crevé l’écran lorsqu’une caméra cachée, en début d’année, avait saisi les confessions d’un de ses porteurs de valises, Leonardo Fariñas. Le procureur Campagnoli, ne faisant ni une ni deux, avait ouvert une instruction, dont les résultats ont permis de retrouver des comptes dans deux établissements genevois et une société panaméenne.

Le zèle du magistrat, assimilé à un "abus de pouvoir", portait ombrage au jeune juge fédéral Sebastian Cassanello, nommé par Cristina Kirchner et sympathisant de la "Campora", sorte de club de jeunes cadres kirchnéristes. Le juge Cassanello avait interdit au procureur l’accès au dossier.

"Campagnoli est de cette race de magistrats assez rares dans cette partie du monde. Il est vraiment à l’épreuve de la corruption", nous explique une des étoiles du barreau argentin, Luis Dobniewski. "Dans les années 90, il avait créé une structure, les ‘Centaures’, qui regroupait les procureurs les plus inquisiteurs pour percer le blindage du président Carlos Saul Menem."

Des précédents

Avant le procureur Campagnoli, Carlos Rivolo avait connu le même sort en mai 2012. Ce magistrat instruisait l’affaire Ciccone Calcografica, du nom de la société de fabrication de billets de banque (y compris faux), qui aurait été acquise, grâce à des pressions, par une personne soupçonnée d’être un homme de paille d’un haut personnage de l’Etat.

Un mois avant encore, Daniel Rafecas, le procureur général, avait été prié de se trouver un nouveau métier.

Le premier juge limogé par le kirchnérisme, en 2004, avait été Juan José Galeano, dont le départ permettait le classement définitif des trois premiers dossiers de corruption à l’encontre de l’entourage présidentiel.

Le nouveau procureur général, Alejandra Gil Carbo, totalement acquise à la Présidente, a, elle, créé une fondation au sein du Conseil de la magistrature, "Justice légitime". Celle-ci nomme des procureurs "militants", en dehors de la voie des concours, au grand dam d’associations de juristes.

Et la sénatrice du Front civique (opposition) de Cordoba, Norma Morandi, journaliste et sœur de deux jeunes disparus pendant la dictature, nous déclare : "On ne peut pas continuer à vivre comme cela. Trente ans de démocratie et nous n’avons toujours pas de justice indépendante !"

M. Campagnoli n’a pas vu son droit à la défense reconnu. Sur les sept juges prévus par la loi organique du ministère public, quatre sont membres de l’organisation "Justice légitime".

La presse dans le collimateur

Signe que l’indépendance des juges va de pair avec la liberté de presse, mardi, le quotidien "La Nacion", s’est vu signifier une ordonnance lui interdisant de publier des informations sur les "contrats commerciaux" de Lazaro Baez avec les Kirchner.

Le journaliste phare du titre, Hugo Alconada Mon, venait de publier une série de documents exclusifs sur de faux contrats, portant sur des millions de pesos, d’occupation des hôtels de la Présidente (les Kirchner possèdent le patrimoine hôtelier et immobilier le plus important d’Argentine), dans ce qui ressemble à un schéma de blanchiment d’argent.

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