Le nœud gordien de l’intime

Lorent Claude
Le nœud gordien de l’intime

POUR PEU QUE L’ON SUIVE la route tracée par l’artiste, ponctuée de cinq expositions à l’Office d’Art contemporain à Bruxelles, on sera directement interpelé par la série de dessins épinglés aux murs de la galerie. Isabel Baraona n’a certes pas coupé les ponts avec elle-même, mais elle semble bien avoir pris de la distance à l’égard de son propre travail. Ses dessins, des encres vives et des crayons doux selon son habitude, restent reconnaissables et on y retrouve même la plupart des traits caractéristiques, des couleurs utilisées, des graphies et circonvolutions. Néanmoins les mises en page sont différentes et la tension palpable dans l’ensemble de son œuvre s’est légèrement apaisée.

Dans la majeure partie de son œuvre, le ‘je’ n’était pas seulement un mot tracé avec fébrilité, c’était aussi une signature et une implication consciente, la marque d’un rapport direct à soi, au plus intime de soi, à l’intériorité, aux sentiments les plus profonds, au bien être, au mal être, à cette inquiétude existentielle qui nous taraude tous avec plus ou moins d’intensité et de questionnements. Les encres, dans l’entremêlement du rouge et du bleu chargés de toutes les symboliques possibles, du sang à la passion, de la froideur à l’immatérialité, par portraits, évocations vestimentaires et corporelles, des mises à nus fréquentes, parlaient de ce moi et de ses rapports aux autres, proches, lointains, présents ou absents, la famille, les amours. Et l’artiste pouvait passer de la prime enfance à la vieillesse. Une vie, vécue, à vivre. Une épreuve permanente à traverser. Même si cette évidence ne fait plus partie de son travail actuel comme telle, elle reste sous-jacente et continue à innerver en sourdine les dessins récents. On ne s’immiscera pas dans les arcanes de la psychanalyse mais il ne faut pas être lacanien pour saisir le doute profond du soi, de son identité réelle, de son image, qui habite les œuvres et le nœud qui, inextricable, relie le tout.

Deux séries de papiers se font face dans l’expo. L’une sur fond noir, l’autre en blanc naturel. Dans la première, la feuille blanche, déstructurée, de guingois, flottante, se superpose à l’encre nocturne. Et Isabel Baraona s’y épanche en circonvolutions plus aériennes, plus diffuses qu’à l’habitude, plus légères, avec des ornements floraux, des visages aussi qui apparaissent. En face, l’ambiance n’est guère différente même si parfois l’écheveau se teint en noir et se densifie, même si les visages se multiplient et s’égarent sens dessus dessous comme dans un rêve, comme dans une évasion imaginaire entre désir et souvenir. Délicats, extrêmement fragiles dans ce qu’ils livrent, entre noirceur et luminosité, entre envie et retenue, esquissés plus fréquemment qu’insistants et donc plus murmurés que criés, ces dessins vibrants d’une sensibilité à fleur de l’être et d’une émotion à vif, diffusent la part la plus mystérieuse de l’être et atteignent nos fibres les plus secrètes. Gorgés d’espoir, ils nous disent tous… "à demain", car la vie triomphe.

Claude Lorent

Isabel Baraona. "à demain". Dessins et publications. Office d’Art Contemporain, 105, rue de Laeken, 1000 Bruxelles. Jusqu’au 12 avril. Du jeudi au samedi de 14h à 18h.

Vous êtes hors-ligne
Connexion rétablie...