Brève

Armand Beauduin, directeur général ém. du Segec

Publié le 22-01-2015 à 17h24

Un monde où chacun peut croire sous son toit Je m’appelle Grégory. J’ai 31 ans et suis de nationalité française. Je vis en Belgique depuis dix ans. J’aime énormément mon pays d’accueil, son état d’esprit et sa culture. Mais comme tout exilé, je suis très attaché à mes racines, et notamment à notre humour bien français. Cet humour étrange, souvent noir, qui peut si facilement tomber à plat, dans le pays de Jacques Brel […] Le 7 janvier 2015, je suis passé par de nombreuses émotions, d’abord la colère, puis la rage irrationnelle. En prenant du recul, j’ai ressenti une sorte de compassion pour ces hommes qui n’avaient rien compris. Et puis, de l’espoir, voire une forme d’amour pour ces pays entiers de musulmans qui soutenaient Charlie Hebdo sans réserve. Une semaine plus tard paraissait la réponse de Charlie Hebdo. Une couverture représentant le prophète, réponse inévitable et magnifique d’un magazine qui refuse de plier sous le joug du terrorisme, mais qui le représente lâchant une larme pour les victimes de l’attentat. Ce prophète est clairement le symbole de l’islam, et représente donc le soutien que les musulmans ont apporté à Charlie. Ce dessin laisse également entendre que les extrémistes sont dans l’erreur, que les musulmans condamnent ces comportements barbares. Ce dessin est un compliment aux musulmans. Ce dessin affirme haut et fort que beaucoup de musulmans disposent de la maturité nécessaire pour séparer les croyances personnelles et un mode d’expression populaire, pour séparer les règles qu’ils s’imposent des lois laïques de pays humanistes. Mais le monde musulman s’enflamme. Des étudiants, des avocats, des gens censément intelligents, et capables d’analyse et de réflexion se sentent violemment insultés par ce compliment. Au nom d’une insulte imaginaire, ils violentent, tuent, brûlent des drapeaux français et certains tentent d’attaquer les ambassades. Ce soir, pour la première fois depuis que j’ai pris conscience des différences entre les hommes, je me demande si certaines sociétés sont capables de vivre ensemble. Pourtant, je continue de croire. Oui, j’ai la foi. La foi en un monde où chacun peut croire sous son toit, pratiquer les rites de son choix, pour son évolution personnelle, sans s’offusquer du comportement de son voisin, pratiquant d’autres voies, dont les idées sont différentes. Et j’ai foi dans le fait que Charlie Hebdo aura sa place dans ce monde, et que dénoncer des dérives et provoquer les imbéciles sera l’un des chemins qui permettront d’arriver à ce monde de vraie tolérance.Gregory Paulin

Des splendeurs anéanties Beaucoup parlent du Coran sans l’avoir jamais ouvert et se figurent que ce doit être une sorte d’Evangile dont il ne faut pas s’inquiéter. N’y aurait-il pas lieu qu’un journal comme le nôtre nous initie sur ce sujet par quelques articles ? Pour ma part, j’ai visité seul pas mal de pays musulmans. Je m’y suis senti accueilli et j’en ai admiré les splendeurs. Que sont-elles devenues ? J’ai vu à la TV le film sur l’extermination des juifs qui montre combien l’homme, quelle que soit sa culture, se transforme facilement en monstre pour anéantir son voisin. Quand on voit les exactions des jihadistes, je fais un parallèle et me désespère de voir une évolution positive du monde.Henri Mairlot

Inconscience et irresponsabilité Oui, je suis pour la liberté d’expression… Oui, l’attaque mortelle contre Charlie Hebdo est abjecte… Oui, je compatis à la douleur des familles et collègues des personnes massacrées. Mais : dans l’état actuel des choses, ces dessinateurs font preuve d’une grande inconscience et irresponsabilité en continuant à brocarder le prophète. Merci de lire la suite avant de me traiter d’apostat de la liberté d’expression. Ils se défendent d’attaquer l’islam et les musulmans, et disent qu’ils veulent simplement se moquer des dérives de la religion, comme ils le font d’ailleurs avec toutes les autres religions, avec tous les partis politiques, avec toutes les philosophies, qu’elles soient de gauche, de droite, du centre… Quand vont-ils réaliser que les idées tout à fait légitimes qu’ils veulent faire passer dans leurs caricatures ne sont pas acceptées ou simplement comprises par des milliers (millions) de gens concernés, et que finalement ils jouent le jeu (dangereux) des extrémistes de tout poil, pour qui ces nouvelles caricatures du prophète sont du pain béni ? Alors il faut rétablir la censure, me direz-vous ? Certes non. Je dirais plutôt : rétablissons le respect […] Qu’on aime ou pas, nous vivons dans un monde complexe, avec d’autres communautés, qui ne pensent pas nécessairement comme nous, et si nous voulons que çà se passe bien (ce qui est dans l’intérêt de tout le monde), il y a des codes à respecter […].Jacques Van Dyk CHARLEROI

Vivre ensemble Dans le contexte de liberté d’expression, parlons du vivre ensemble. Comment peut-on vivre paisiblement ensemble si ce n’est en évitant toute offense concernant la religion de chacun, sujet si sensible ? La liberté d’expression, telle que présentée, sans limites, pourrait amener certains à caricaturer avec mépris tous ceux et celles qui leur déplaisent. Réfléchissons donc, à l’esprit que nous inculquons spécialement à nos jeunes, esprit d’irrespect pouvant petit à petit mener à la haine. Or par les réseaux sociaux nous savons les dégâts que cela peut causer […]Anne Ortegat ZWIJNAARDE

Pour éteindre le feu qui couve Compte tenu de la tournure prise par les réactions - lourdement médiatisées - consécutives à l’attentat contre Charlie Hebdo, je ne suis pas sûr du tout de vouloir moi aussi "être Charlie" […] Certes, la liberté d’expression n’est pas négociable dans une démocratie. Mais c’est quoi, au juste, la liberté d’expression ? Est-ce le droit absolu de provoquer mon voisin de pallier, en sachant pertinemment qu’il va prendre la mouche ? Ou est-ce l’assurance que, dans un Etat de droit, toute expression d’opinion, fût-elle destinée à provoquer, à chatouiller ou à tourner en dérision, ne sera ni censurée ni punie par la force publique ? La nuance me paraît essentielle et je trouve consternant pour notre démocratie que cette liberté d’expression soit ainsi galvaudée, réduite en l’occurrence à un droit à manquer de respect à son voisin […] En voulant, au nom de la sacro-sainte liberté d’expression, "faire la nique" aux plus radicaux de la communauté musulmane - qui chez nous ne constituent encore qu’une minorité -, on court le risque totalement stupide de blesser au passage les moins radicaux. Or, c’est de ceux-là que nous avons besoin aujourd’hui pour éteindre le feu qui couve.Roch Hannecart BONN

Sondage sur l’éducation citoyenne L’enquête de la Fapeo (lire "La Libre" du 19 janvier 2015) me laisse perplexe. Faut-il remplacer totalement ou partiellement l’horaire de religion/morale des écoles par un horaire d’éducation citoyenne ? Il est difficile de voir quelles conclusions tirer de l’enquête, tant les résultats sont incertains et contrastés […] Quel peut être le crédit d’une enquête statistique, menée par Internet auprès de qui veut répondre et sans garantie sur le caractère représentatif de l’échantillon ? Qu’est-il possible de tirer d’un effectif aussi faible (1/4 de l’échantillon) des répondants de l’enseignement confessionnel (pour la scolarisation de 50 % de l’effectif scolaire) alors même que la mesure de réduction partielle de religion/morale ne les concerne pas dans l’état actuel des projets du gouvernement ? […] A mon sens, il faut plutôt s’étonner, dans le climat ambiant de sécularisation, d’un attachement de la moitié de l’échantillon aléatoire pour le maintien du choix religion/morale, à rebours de la pensée dominante des directions de l’officiel. Même après les manifestations meurtrières de l’islamisme radical, un cours d’éducation citoyenne ne sera pas la panacée de la déradicalisation nécessaire par l’exercice de la raison sur le fait religieux. Les chemins de l’éducation citoyenne et du respect d’autrui sont bien plus complexes.Armand Beauduin, directeur général ém. du Segec