Sur les chasses de la Couronne, héritage du roi Baudouin
Publié le 11-08-2017 à 17h17
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Reportage Sophie Devillers Trois maisons en grosses pierres du pays au milieu des hêtres, des chênes et des sapins. Le hameau de Mochamps constitue la seule trace d’urbanisation dans le vert foncé du massif forestier de Saint-Michel-Freyr, en plein Luxembourg belge. Pas très loin de là, inaccessible aux regards, il y a aussi l’ancien pavillon de chasse du roi Baudouin. C’est là que le Souverain offrait à dîner à ceux qui participaient aux "chasses de la Couronne". S’y croisaient l’aristocratie, des personnalités européennes ou même des célébrités belges. "Cette invitation royale, c’était une façon d’honorer quelqu’un. Eddy Merckx est ainsi venu, alors qu’il n’est pas chasseur, raconte à présent Claude Charrue, retraité du Département de la nature et des forêts (DNF), arrivé ici en 1977. Moi-même, je n’ai vu qu’une fois le Roi à une chasse. Il était venu saluer ses invités au repas. Le roi Baudouin n’était pas contre la chasse. Mais cela ne l’intéressait pas tellement et il a réalisé qu’il y avait moyen de faire profiter toute la population."
Depuis 1846, les souverains belges avaient reçu le droit de l’Etat, propriétaire, de chasser dans cette "forêt domaniale". Mais en 1982, Baudouin a décidé de rétrocéder ses droits sur ces chasses de la Couronne, à trois conditions : gérer le grand gibier de façon exemplaire, développer la recherche scientifique sur le gibier, et avoir un objectif pédagogique envers le public. Depuis, la Région wallonne s’efforce de suivre ces préceptes royaux. Et c’est d’ailleurs une partie de cette zone qu’elle a choisie pour son appel à projet, une "vitrine forestière" inspirée du projet Nassonia d’Eric Domb (lire ci-contre).
Cerfs, biches et sangliers suivis à la trace
Debout au sommet de la tour en bois de Priesse, le garde forestier Sébastien Herman saisit ses jumelles. De ces dix mètres de haut, on a une vue presque à 360 ° sur les bois de Saint-Michel-Freyr et une large clairère gorgée d’eau où broutent des moutons. Juste côté, une minuscule tache brune. "C’est Philippe, j’en suis quasi sûr. Il boite…" Philippe est l’un des quelques dizaines de cerfs que le DNF, en collaboration avec des scientifiques d’institutions wallonnes, suit à la trace, tout comme ils le font pour les biches ou les sangliers. Objectif : connaître la répartition et les habitudes du gibier, par exemple.
Même au sommet de cette aire de vision, Sébastien Herman parle tout bas. En bas de la tour, de la sciure a été posée pour étouffer les bruits de pas. Un panneau enjoint au public : "soyez silencieux", "bougez lentement"… Les 1 600 ha concernés par l’appel à projets "Nassonia bis" ne comptent d’ailleurs que deux aires de vision accessibles au public, à la lisière des bois, et les parkings sont limités, à dessein. "Ici, ça ne peut pas être un tourisme de masse, mais diffus, avertit Sébastien Herman. Sinon, on se tire une balle dans le pied. S’il y a mille personnes par jour, le gibier va vite comprendre et partir 5 km plus loin…"
Triple rangée de touristes
Déjà, les jours de brame du cerf, dans l’aire de vision de Bilaude, au bord de l’étang du Verbouc (ce bouc à tête de diable y aurait abrité son trésor !), le public se presse en triple rangée… Le garde attend donc de voir le contenu des candidatures à "Nassonia bis" et quel type de tourisme y est prévu. "Ce qui ne faut jamais perdre de vue, glisse Claude Charrue, c’ est qu’une tarte aux fruits, c’est superbe quand on la met sur la table, mais quand on commence à la manger, il n’y a plus de tarte ! Si l’on commence à faire ici un Luna Park, avec beaucoup d’infrastructures pour les touristes dans la futaie feuillue, il n’y aura plus de tarte. Si ce sera le cas ? Je n’en sais rien ! Les projets ne sont pas encore connus."
Un avantage pourrait en tous cas être les fonds, qui permettraient de rénover des infrastructures comme le caillebotis d’1,5 km posé au-dessus de la tourbière dans la réserve de la Fagne de Rouge Ponceau et qui menace de s’effondrer sous les pas des visiteurs. Dans le cadre du projet, les recettes, les produits de la chasse et des coupes de bois seraient attribués à un fond pour la gestion de la forêt domaniale, détaille Sébastien Herman.
Que les intérêts, pas le capital
Et les agents sont fiers de leur gestion des coupes d’arbres. "On fait déjà de la gestion différenciée de la forêt, note Sébastien Herman, qui s’arrête devant le "chêne Michel" âgé de 300 ans. Ici, on ne prend pas le capital, que les intérêts. On ne coupe que l’accroissement." Le but est d’avoir une forêt en équilibre, qui peut se régénérer seule. Mais comme ici, dans ce coin du bois avec ces pousses de hêtres, les arbres les plus jeunes doivent être protégés du gibier par des barrières de bois, sous peine de finir en dessert. Ce qui signifie qu’il y a surpopulation d’animaux.
Pour le garde, c’est la pression de l’urbanisation qui les pousse à se regrouper ici, dans cet écrin sauvage. La chasse est aussi pratiquée, dans un but de régulation : "une chasse éthique : avec la poussée silencieuse, l’approche, l’affût", continue le garde, alors que traverse devant lui une famille de sangliers. Ici, fini les cris, les chiens, les rabatteurs, les tireurs en ligne, et les balles perdues sur les animaux qui courent à 40 km/h… Une seule balle est en moyenne utilisée, par un chasseur isolé, sur un animal immobile. Et seule la bête la plus faible sera ciblée. "Comme le loup, le prédateur naturel, aurait fait."