Iran Pour le vice-ministre Abbas Araghchi, Téhéran sort grandi de ses choix sur le nucléaire et au Moyen-Orient.Entretien Vincent Braun et Christophe Lamfalussy Abbas Araghchi, le vice-ministre iranien des Affaires étrangères, était à Bruxelles en ce début de semaine. Celui qui fut le principal négociateur de l’accord de Vienne (2015) sur le programme nucléaire de son pays discute aujourd’hui avec l’Union européenne (UE) pour trouver des solutions permettant à l’Iran de tirer des bénéfices économiques de cet accord, malgré le retrait américain. La Libre Belgique l’a rencontré.
Vous êtes venu par liaison aérienne commerciale ?
J’ai utilisé Turkish Airlines, qui est très flexible avec trois ou quatre vols par jour de Téhéran à Istanbul. Il y avait une liaison directe vers Bruxelles, mais il semble qu’elle s’est arrêtée avec le nouveau régime de sanctions parce qu’elle ne peut plus recevoir de fuel à Bruxelles. Malheureusement, les États-Unis ont imposé quatre couches de sanctions aux vols passagers d’Iran Air. Et ces sanctions, c’est bien sûr les gens ordinaires qui les subissent. Moi, je suis un diplomate et je trouve toujours une façon d’aller où je veux.
Avec l’UE, où en sont vos discussions ?
Nous apprécions la position européenne, qui reste dans l’accord et est disponible pour trouver des solutions pour compenser l’absence des États-Unis et afin que les entreprises viennent investir en Iran. L’Europe doit trouver des solutions pour que l’Iran puisse continuer à exporter son pétrole, être capable de recevoir l’argent, de faire des affaires avec des entreprises qui puissent faire des paiements…
Le mécanisme du fonds de créance (Special Purpose Vehicle ou SPV) proposé par l’UE peut-il permettre cela ?
Ce SPV peut faire une chose cruciale pour les autres activités : créer un mécanisme de paiement qui n’a rien à voir avec le dollar et avec le système de surveillance américain. Ce mécanisme traiterait les paiements en euros. Cela ne nous semble pas très difficile à mettre en place : c’est une entreprise qui met en réseau les vendeurs et les acheteurs. Mais les pressions américaines sont plus importantes que l’Union européenne ne l’attendait.
L’Iran pourrait-il un jour sortir de l’accord ?
Nous quitterons l’accord si nous arrivons à la conclusion que l’accord n’est pas dans notre intérêt. Et je crains que nous ne soyons proches de ce point. Mais jusqu’ici, certains gains, plus politiques qu’économiques, nous incitent à rester dans l’accord.
Quels bénéfices politiques ?
Aujourd’hui, les États-Unis sont isolés. L’Iran a la légitimité pour lui. Le secrétaire général de l’Onu, l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), les Européens sont avec nous. Tous les alliés des États-Unis, dont le Japon et le Canada, sont avec nous. Nous sommes du bon côté de l’Histoire.
Êtes-vous inquiets de la situation sociale et économique de votre pays alors que les sanctions sont revenues ?
Non. Cela fait quarante ans que nous vivons avec les sanctions. Nous pouvons trouver des solutions. Mais les Iraniens comprennent que nous avons à payer pour notre indépendance et notre dignité.
Le plus gros risque auquel nous faisons face est que les gens perdent leur espoir dans la diplomatie. Les Américains ne comprennent pas cela. Ils encouragent le concept de résistance. Les gens en arrivent à la conclusion qu’il faut résister à la volonté d’hégémonie des pays occidentaux.
Pourquoi le président Rohani, pourtant un modéré, a-t-il été si dur sur Israël il y a quelques jours ?
Personne ne peut soutenir un régime qui tue des gens chaque jour, occupe des territoires d’une autre nation. Israël est contre tout accord avec l’Iran depuis le début. Netanyahou a échoué à empêcher cet accord mais avec la nouvelle administration, il a repris son travail de sape. Il est fâché que l’Iran et l’Europe collaborent pour sauver l’accord. Israël fait tout pour détruire cette relation.
En juillet, un diplomate iranien a été arrêté en Allemagne et livré à la justice belge. Il est accusé d’avoir fourni l’explosif aux gens qui devaient commettre un attentat contre l’opposition iranienne à Paris. Pourquoi ce diplomate est-il impliqué dans ce projet ?
Bonne question. Pourquoi un diplomate iranien devrait-il être impliqué dans une telle activité alors que notre président voyage en Europe ? Le jour où il va en Suisse, puis en Autriche, un diplomate aurait essayé de faire exploser quelque chose à Paris ? Pour détruire tout au moment où nous sommes en train de négocier avec les Européens pour sauver l’accord nucléaire. Est-ce rationnel ? Quelque chose ne va pas, quelque part.
Est-ce que la suspension de l’accord nucléaire a incité l’Iran à agir différemment dans les pays voisins, la Syrie ou l’Afghanistan ?
Non. Notre politique à l’égard des pays voisins est bien établie et ne changera pas. La paix et la stabilité dans la région contribuent à notre propre paix et sécurité. Nous devons nous battre contre Daech et d’autres groupes terroristes en Syrie et en Irak.
Il existe une crainte que l’influence de l’Iran, à travers des milices chiites, soit devenue trop importante en Syrie et en Irak et menace Israël. Que répondez-vous à cela ?
Nous sommes en Syrie pour combattre le terrorisme, pas pour un autre objectif. Nous sommes là à l’invitation du gouvernement syrien. Nous resterons là tant qu’il le veut.
C’est vrai que l’Iran a une grande influence dans la région. Pourquoi ? Parce que nous avons fait les bons choix. Lorsque nous avons combattu Saddam Hussein, nous avons soutenu d’autres Irakiens, qui sont maintenant au pouvoir à Bagdad. En Syrie aussi, certains voulaient la chute de Bachar al-Assad, mais nous savions que si Bachar partait, toute la structure politique du pays allait s’effondrer et la Syrie devenir un paradis pour les terroristes. Qui a créé Daech ? Qui lui a donné de l’argent, des armes ? Au Liban, nous avons sauvé le pays d’une autre guerre civile quand les Saoudiens ont arrêté Saad Hariri (le Premier ministre libanais, NdlR) et l’ont gardé en otage. Grâce à la retenue du Hezbollah et à l’intervention française auprès de l’Arabie saoudite, nous avons sauvé le Liban.
Vous pensez que l’Arabie saoudite est derrière Daech ?
C’est le créateur de Daech. L’Arabie saoudite et d’autres. Ils ont commis la même erreur que les Américains en Afghanistan, lorsqu’ils ont créé des groupes qui se sont ensuite retournés contre eux.