Le Bruxelles de la franc-maçonnerie
Publié le 27-04-2019 à 07h40
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Il existe un lien patrimonial et historique entre la franc-maçonnerie et Bruxelles. Alain Jurisse, guide du musée de la franc-maconnerie et lui-même maçon, revient sur ce Bruxelles maçonnique... ...En attendant la visite, dans ses pas, de notre capitale.Alain Jurisse est guide au musée de la franc-maçonnerie. Il est aussi membre de la Grande loge de Belgique, et membre honoraire du suprême conseil de Belgique . C’est avec lui que nous entreprenons notre balade dans le Bruxelles maçonnique. Une occasion aussi d’évoquer la question de l’influence de la maçonnerie dans notre société.
Peut-on dire qu’il existe une présence notable de la franc-maçonnerie dans cette ville ?
La franc-maçonnerie intéresse un groupe sociologique limité. Revenons en arrière : au XIXe siècle, ce sont les grands bourgeois qui ont le pouvoir politique. En 1830, à l'Indépendance, il y a quatre millions de Belges. Sur ces quatre millions, seulement 40 000 votants censitaires (qui paient le cens, impôt très élevé) : ce sont les personnages influents. Ces 40 000 personnes se départagent en deux groupes : les catholiques d'un côté, et les non catholiques, et, à l'intérieur du groupe des non-catholiques, les membres de la franc-maçonnerie - ce qui représente une poignée d’hommes.
Mais on peut dire aussi que, depuis 1830 et jusqu'en 2000, seuls trois bourgmestres bruxellois n'étaient pas franc-maçons. Et, quand on parle d'un bourgmestre franc-maçon, on parle aussi de l'échevinat qui l'entoure.
Bruxelles, franc-maçon ?
La franc-maçonnerie est-elle un lieu où de idées à tendance progressiste émergent ?
Replaçons-nous au XIXe siècle. À cette époque, il n’y pas de système de vote universel. La majorité de la population ne vote pas. C'est la grande bourgeoisie qui dirige l'état et la ville, et elle est soit catholique, soit franc-maçonne. Donc, en loge, bien sûr, on discute de la vision politique. Et c'est cela qui pose problème, car beaucoup de gens pensent que c'est encore le cas aujourd'hui ! Et à Bruxelles fin XIXe, (où coulait la Senne, ce qui créait nombre d'épidémies), le voûtement de la Senne pour raisons hygiénistes et sociales a été décidé, par exemple, à l'initiative de Jules Anspach, bourgmestre et franc-maçon.
La franc maçonnerie est-elle influente dans l'architecture de la ville de Bruxelles ?
Il faut être honnête intellectuellement. Nous avons certes le grand architecte franc-maçon, Victor Horta. Mais s'il était membre de la loge, il venait très peu aux réunions.
La question de l’influence politique
Cela limite donc l'influence que l'on donne à la franc-maçonnerie, influence qui continue de questionner et qui même parfois inquiète...
Les francs-maçons eux-mêmes ont tendance à tirer la couverture à eux. On peut trouver des francs-maçons partout, mais vous pouvez appartenir à la franc-maçonnerie sans jamais y participer. J'ai vu des hommes politiques francs-maçons, qui, toute leur vie, sont restés apprentis au premier grade, car ils ne venaient pas aux réunions. Cependant, ces personnes vont défendre les valeurs que la franc-maçonnerie dans leur fonction.
Et quelles sont les positions qu’ils défendent ?
Les représentants de la franc-maçonnerie défendent des valeurs qui favorisent la notion de liberté des individus. Aujourd'hui, elle s'attaque aux débats éthiques. Par exemple, la question de l'euthanasie des enfants. Il n'y pas de dogme franc-maçon, mais la franc-maçonnerie, aujourd'hui, s'interroge sur ces débats. Les francs-maçons sont partisans du fait que chacun puisse choisir. On pourrait rétorquer que les individus ne sont pas assez formés pour décider sur ces questions éthiques (euthanasie ou encore avortement) mais nous pensons qu'il faut développer l' enseignement ; que chacun devienne autonome et puisse prendre ses décisions.
Pensez-vous à un événement où les francs-maçons bruxellois ont eu une vision qui depuis s'est imposée.
Pierre Van Humbeeck a inventé la ligue de l'enseignement primaire (Une fresque lui est dédiée rue du Rempart des Moines, 41, dans Bruxelles, NdlR). Il avait une vision : "Il faut un enseignement primaire pour tous les enfants, garçons et filles, dans toutes les communes du Royaume". Le fait est qu'il est Bruxellois et franc-maçon.
Vous racontez comment la franc-maçonnerie bruxelloise a lutté contre une célébration antisémite implantée historiquement dans la cité.
En 1370, la communauté juive a été exterminée suite à une sombre d'histoire d'osties transpercées. Depuis, à chaque centenaire, une procession fêtait cet anniversaire (pourtant sanglant) le même jour que l'ouverture de la foire de Bruxelles. Ce sont des maçons qui ont demandé aux autorités d'interdire ce grand cortège qui rappelait un événement antisémite. En 1770, il n'y a en plus eu.
Le mythe qui fascine
Les francs-maçons représentent moins de 1% de la population belge, et cependant il demeure une certaine fascination autour de ce regroupement.
Dans la philosophie maçonnique, il faut s'engager. Dans un syndicat, un parti, une association.C'est peut-être pour cela qu'on dit que les francs-maçons sont partout.
Les raisons de cette fascination correspondent cependant à une fausse réalité, qui vient du fait qu'on dise que la franc-maçonnerie est une association secrète. Il y a tout un discours complotiste, développé au cours de l'histoire : les maçons agissent, ne se dévoilent pas, mais ils mènent le monde. Si on ne se dévoile pas, c’est pour des raisons historiques Nous avons été en butte à la majorité de la population pendant des siècles. C'est l'une des raisons du maintien du secret. Et puis, nous sommes dans un système particulier.
C'est le fameux mythe du secret maçonnique...
La franc-maçonnerie se définit comme une méthode d'accès à la connaissance fondée sur l'utilisation du langage symbolique, et un système initiatique. Quand quelqu'un entre en franc-maçonnerie, cela se fait en milieu fermé. Il y a quelques années, je me trouvais chez des druzes, et les druzes ont une religion initiatique avec système fermé. Ce genre de choses perturbe dans nos sociétés totalement ouvertes, où l'on montre tout. Mais, si vous demandez demain, au nom du fait que vous êtes client dans votre banque, d'assister au conseil d'administration, on vous dira gentiment non.
C'est ainsi que demeure, si je reviens à votre question, le mythe qu'on se cache, qu'on est très riche, et qu'on agit en secret. Le Da Vinci Code a exploité ce mythe... Et vous savez, on nous caractérise encore comme "secte". Mais j'appartiens à la catégorie des francs-maçons qui disent : on n’a rien à cacher, on fait partie de la société. Et quand on voit l'état des lieux de notre société,on se dit que nos valeurs (égalité homme/femme ; libre arbitre) valent la peine d'être communiquées.
La franc-maçonnerie connaît les méfiances des pouvoirs et religions établis à notre époque. Pourquoi ?
La franc-maçonnerie pose problème à des systèmes qui expliquent d'où vous venez ; comment vous devez vous comporter... Ces systèmes acceptent mal la mise en doute par la question de la connaissance et de la recherche de vérité. Mais nous pensons que c'est dans la diversité d'opinion que l'on fait progresser le monde à titre individuel et collectif. "Nous sommes les collaborateurs de Dieu", disaient les premiers maçons, qui étaient protestants. La création n'est pas finie, et nous devons participer à son amélioration. Mais on a besoin, pour cela, de la liberté de conscience.
En mode constructif Aurore Vaucelle