La vie menacée d’Elena Milachina
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- Publié le 17-04-2020 à 19h23
Russie Le dirigeant tchétchène Ramzan Kadyrov ne supporte pas ses reportages critiques.Elena Milachina a "vraiment peur". Depuis la publication de son enquête sur la gestion de la crise du coronavirus en Tchétchénie dans Novaïa Gazeta, le président Ramzan Kadyrov a mis en joue la journaliste qu’il avait déjà dans le viseur. Ses "menaces sont vraiment sérieuses et c’est un homme dangereux. Je sais que, s’il décide vraiment de me tuer, il le fera", a-t-elle confié au Comité pour la protection des journalistes (CPJ).
Elena Milachina enquête inlassablement sur les sujets sensibles en Russie, et dans le Caucase du Nord en particulier. Ce qui l’a amenée à publier, le 12 avril, un reportage dans lequel elle raconte que les personnes infectées en Tchétchénie sont assimilées à des terroristes à combattre "avec les méthodes appropriées", si bien que des malades préfèrent mourir chez eux du coronavirus plutôt que de révéler leur contamination. Elle rapporte aussi les arrestations de personnes soupçonnées d’avoir enfreint les règles de confinement et le manque criant de matériel médical. Elle se demande enfin si les tests de dépistage ne sont pas effectués surtout sur le dirigeant tchétchène et son entourage.
Dès le lendemain, Ramzan Kadyrov, dans un discours relayé sur Instagram, a menacé Novaïa Gazeta et Elena Milachina, demandant ouvertement pourquoi le Service fédéral de sécurité (FSB) et Gazprom (qui, selon lui, finance le journal) les laissaient écrire des "mythes mensongers". "Si vous n’empêchez pas ces inhumains de dire du mal de nous, nous nous transformerons en bandits", dit-il. "L’un [d’entre nous] prendra cette responsabilité et purgera sa peine, comme l’exige la loi. Il fera son temps et ensuite il sera libéré !" Deux jours plus tard, les instances fédérales russes de contrôle de l’information exigeaient que le journal retire le reportage de son site, faisant valoir - sans les identifier - qu’il contenait des "informations inexactes" menaçant la sécurité publique.
Elena Milachina n’est pas du genre à s’inquiéter pour rien. Six collègues de sa rédaction, dont Anna Politkovskaïa, ont déjà été tués. Elle-même a été agressée le 6 février à Grozny, où elle était venue assister au procès du blogueur Islam Noukhanov, auteur de propos critiques sur le train de vie luxueux des élites tchétchènes. Elle a accusé les autorités d’avoir orchestré l’attaque mais, dans sa vidéo récente, Ramzan Kadyrov conteste : "Il n’y a pas un seul témoin !"
Le Comité pour la protection des journalistes a appelé les autorités russes à condamner les menaces du dirigeant et assurer la sécurité d’Elena Milachina. Mais la journaliste n’y croit pas vraiment. "L’État ne veut pas me défendre."
Sabine Verhest