Six mois pour créer et retrouver l'espoir

À Jette, Firm Artlab accueille en résidence, jusqu’à fin août, six artistes et collectifs bruxellois. Un soutien salutaire en ces temps compliqués, en particulier pour la jeune création et les petites structures. À l’image de la compagnie de danse contemporaine Opinion public.

Bruxelles - Jette: Firm Artlab - residence ephemere pour des artistes et compagnies a Jette - Grafitti - Danse - Danseurs - Artistes circassiens
©JC Guillaume

Reportage Stéphanie Bocart Au 143-147 de l’avenue Firmin Lecharlier, à Jette, s’étire un imposant bâtiment industriel du début du XXe siècle. Ce matin-là, une pluie tenace délave le rouge des briques qui courent sur trois étages. En cours de réhabilitation, cet ancien dépôt de vin de plus de 3 000 m2 devrait, à terme, accueillir des logements. Mais, pour l’heure, au premier regard, rien ne laisse deviner que derrière ses murs épais six artistes et collectifs bruxellois (lire ci-contre) ont fait de cet édifice leur lieu de création. Depuis février, ils ont, en effet, déposé leurs chevalets et pinceaux, installé leur matériel de musique, fixé leur tapis de danse au sol, aménagé leur studio photo, etc., pour une résidence de six mois, jusqu’à fin août.

Locaux, aide logistique, consultance…

Baptisé "Firm Artlab", ce projet a été lancé en septembre dernier à l’initiative des échevins de la Culture de Jette, Mounir Laarissi et Nathalie De Swaef, en accord avec le propriétaire du bâtiment (Aura Estate). "À la base, l’idée était de monter un projet de street art pendant un mois, raconte Christophe Carpentier, directeur et programmateur au sein de l’ASBL Firm Artlab. Mais, lorsque j’ai visité le bâtiment, j’ai proposé d’en faire une résidence temporaire d’artistes. Le propriétaire nous a autorisés à rester jusqu’en août, et ce sera probablement prolongé jusqu’à fin décembre. Nous attendons la confirmation." Il poursuit : "Nous avions les clés en septembre, mais le deuxième confinement a mis un sérieux coup de frein au projet." Déjà meurtri par le premier lockdown, le secteur culturel a dû refermer ses portes au public le 26 octobre, laissant de nombreux artistes sans lieux de création, sans aide, sans revenus et sans perspectives. "Ce projet de résidence avait donc d’autant plus de sens", reprend le directeur.

L’appel à projets est lancé en janvier. Septante dossiers de candidature sont envoyés. Six ont été sélectionnés par un jury, avec en ligne de mire la volonté d’organiser une résidence pluridisciplinaire et tournée vers les habitants. Pour ce faire, "trois critères ont été pris en compte : le projet artistique ; la volonté de partager des synergies avec les autres artistes de la résidence ; et la volonté d’intégrer leur projet dans le quartier."

Salle de danse, tapis de cirque, studio photo, ateliers d’arts plastiques, "nous nous sommes adaptés à la demande de chaque projet", précise Christophe Carpentier. Chaque artiste et collectif dispose ainsi de son propre espace de travail ainsi que de salles de réunion, de bureaux, d’un espace lounge, de praticables, d’une salle de régie sons et lumières, de salles d’exposition, d’une cour intérieure, etc. "Quatre projets artistiques travaillent avec du bois (création, décors…), donc nous avons aussi transformé un espace en menuiserie", ajoute-t-il. Outre ces infrastructures et moyens logistiques, les artistes reçoivent chacun une aide financière (2 500 euros) - il leur est demandé une contribution symbolique aux frais de 75 euros par mois (eau, électricité, wi-fi…) - et sont entourés d’une petite équipe qui les soutient dans les aspects de communication, financement, production et diffusion de leur travail.

"En soi, Firm Artlab est assez unique, se félicite le directeur. De par son accompagnement, mais également sa temporalité. Souvent, une résidence dure deux semaines, un mois. C’est assez court. J’ai moi-même été danseur par le passé et ces temps de résidence sont souvent liés à une obligation de résultat, ce qui instille une certaine pression. Ici, c’est vraiment un laboratoire, d’où le nom Artlab : les artistes ont six mois pour créer en toute sécurité, sans cette pression. Nous leur demandons juste de présenter fin juin leur processus de création et fin août un projet en synergie avec les autres artistes résidents. Alors, oui, il y a bien d’autres sites comme See U ou le Bamp, mais ce n’est pas du tout la même démarche."

"Une vraie bouffée d’oxygène"

Au milieu du vaste open space du premier étage résonnent de la musique et des voix. Les quatre danseurs de la compagnie Opinion public sont en pleine création de leur nouveau spectacle, 3 minutes par jour (titre provisoire). "Au départ, l’acoustique ici était horrible, se souvient Christophe Carpentier. Notre régisseur a donc créé des panneaux acoustiques avec les artistes. Ça a coûté 5 000 euros au lieu de 25 000 euros à l’achat." Sur ce même niveau travaillent aussi les circassiens du collectif Balance ton truc ainsi que les plasticiennes Cam Stass et Stéphanie Quirola. "Les danseurs d’Opinion public sont ici tous les jours. Ils sont plus âgés et plus expérimentés (la compagnie a été créée en 2010, NdlR). Mais ils n’ont pas pignon sur rue et ne sont pas soutenus par Charleroi danse et autres. Nous voulions donc aider des artistes qui travaillent sur l’esthétique, la dynamique et la technique de leur art. Il y a aussi des artistes résidents plus jeunes et moins confirmés. L’idée était de donner leur chance à de jeunes créateurs comme le collectif musical Brikabrak."

Sur le tapis de sol transformé en fausse pelouse, Sidonie Fossé et Johann Clapson peaufinent les portés de leur duo, sous le regard de leurs partenaires Étienne Béchard et Victor Launay. Corps-à-corps, mouvements amples des jambes qui s’ouvrent et se referment, mains qui se retiennent et se lâchent, ils réfléchissent, changent recommencent, encore et encore. "Artistiquement, cette résidence nous donne une vraie bouffée d’oxygène, se réjouit Étienne Béchard, directeur artistique d’Opinion public. Notre compagnie est ancrée ici pour quelques mois. Nous sommes dans notre studio de danse avec tout notre matériel. Nous avons construit le décor de notre nouvelle création à l’atelier de menuiserie. Nous avons tout sur place et donc nous gagnons un temps précieux, car, en général, lorsque nous sommes en résidence, notre matériel est dispatché un peu partout, ce qui implique des trajets en voiture ou en camion." Grâce à l’équipe de Firm Artlab, "nous bénéficions aussi d’un suivi en termes de production et de diffusion" comme la création d’un nouveau logo ou la programmation de dates.

Une nouvelle création de rue en auto-gestion

Petite structure hors des circuits institutionnels et des gros opérateurs, la compagnie Opinion public a subi de plein fouet la crise sanitaire, au point de mettre sa survie en péril. "Sans cette résidence, je ne sais pas ce qui se serait passé, confie, ému, Étienne Béchard, parce que nous avons besoin de lieux de création. Nous avons bien eu quelques semaines ponctuelles de résidence au Bamp et au Marni, donc on aurait pu commencer des petits projets plic-ploc par-ci par-là. Mais avoir un espace tel que celui-ci nous permet de travailler tous les jours, de chercher et d’aller au bout de nos idées. Ça change complètement la dynamique : ce n’est pas une question d’avoir des dates de représentation, c’est juste que, psychologiquement, ça fait du bien d’avancer dans son travail et d’avoir des perspectives."

Avec l’embouteillage monstre de spectacles pour les deux années à venir, le jeune chorégraphe est bien conscient qu’"avant 2022 on n’aura pas de longues tournées si ce n’est quelques dates ci et là". Voilà pourquoi, dans la foulée de son dernier spectacle, Contact Zero, né dans la rue à l’issue du premier confinement, Opinion public travaille à une nouvelle création de rue, qui peut être éventuellement adaptée en salle. "On travaille sur un spectacle en auto-gestion qui peut être joué partout, même si on n’a pas d’électricité. On veut être entièrement autonomes." Il conclut : "Même si cette période est difficile, elle nous a appris plein de choses et, artistiquement, c’est très intéressant. Sans le Covid, nous n’aurions jamais fait tout ça. Depuis février, nous avons arrêté de nous focaliser sur nos dates de spectacle traditionnelles. Nous avons décidé de prendre notre destin à bras-le-corps. Ça nous donne une liberté supplémentaire."

Expositions, artdrinks…, retrouvez tous les événements organisés par Firm Artlab sur sa page Facebook

La compagnie Opinion public présentera ce jeudi 17 juin à 17 h dans la cour de Firm Artlab un triptyque de danse contemporaine issu de son répertoire.

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