Le plan de la Commission pour plafonner les prix du gaz frustre les Vingt-sept
Elle n’a trouvé grâce ni aux yeux des partisans d’un tel mécanisme, ni auprès des pays réticents. Les ministres européens se donnent pour objectif de trouver un accord lors de leur réunion du 13 décembre prochain.
- Publié le 24-11-2022 à 21h41
- Mis à jour le 24-11-2022 à 21h09
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N ous avions un problème parce que la Commission n'avait pas déposé de proposition [pour plafonner le prix du gaz]. Maintenant nous avons un problème parce qu'elle l'a fait." Avec le sens de la formule qu'on lui connaît désormais, le ministre tchèque Jozef Sikela, dont le pays préside actuellement le Conseil de l'UE, a exposé jeudi matin le contexte dans laquelle allait se dérouler la nouvelle réunion extraordinaire des ministres de l'Énergie des Vingt-sept.
Comme le lui avaient demandé les chefs d'État et de gouvernement de l'Union lors du sommet du 21 octobre dernier, la Commission a déposé mercredi une proposition de créer un mécanisme de correction du marché du gaz, à activer au moment où les prix atteignent un niveau jugé excessif. Ce texte fait l'unanimité, mais contre lui, ce que les Vingt-sept n'ont pas manqué de faire savoir à la commissaire en charge de l'Énergie, Kadri Simson, jeudi, à Bruxelles. Pour sa défense, l'Estonienne a rappelé que "les attentes et exigences" des États membres étaient "très différentes".
Les pro-plafonnement mécontents
La quinzaine de pays, dont la Belgique, qui réclamaient un système de plafonnement des prix, déplorent que la Commission ait fixé des conditions telles que ce mécanisme ne soit, dans les faits, jamais activé. Il ne pourrait l’être que si le prix des contrats mensuels de gaz atteint ou dépasse le seuil de 275 euros le mégawattheure (MWh) sur le TTF de Rotterdam - l’indice de référence du gaz en Europe - pendant deux semaines. Ce n’est pas tout. Il faut aussi que le prix affiché par le TTF dépasse de 58 euros le prix moyen du marché mondial, pendant une période de dix jours, comprise dans les deux semaines susmentionnées. Aucune de ces conditions n’a été remplie, et certainement pas les deux en même temps, pendant la flambée des prix observée en août, avec un pic à 350 euros le MWh.
La ministre espagnole de la Transition énergétique Teresa Ribera a fustigé une proposition "inapplicable", qu'elle a qualifiée de "mauvaise blague", tandis que son homologue polonaise Anna Moskwa évoquait "une plaisanterie" qui, visiblement, ne l'amusait pas. Même son de cloche, côté grec : 275 euros le MWh, "ce n'est pas un plafond", s'est emporté le Grec, suggérant une fourchette comprise entre 150 et 180 euros le MWh.
Les ministres n'ont cependant pas débattu de ce que serait le seuil idoine pendant la réunion. Le prix n'est d'ailleurs pas le seul problème, précisait-on dans l'entourage de la ministre française Agnès Pannier-Runacher. "Pour le moment, le mécanisme ne couvre pas le marché de gré à gré", à plus long terme, mais juste les contrats mensuels, pointe la même source.
La Belgique, qui est à la pointe des pro-plafonnement, a des raisons d'être insatisfaite de la proposition de la Commission. Avec la Grèce, l'Italie et la Pologne, elle plaidait pour un plafond "dynamique" qui s'étendrait à l'ensemble des marchés et/ou transactions. La Commission propose un plafond statique, valable pour les seuls contrats mensuels du TTF. La ministre de l'Énergie Tinne Van der Straeten (Groen) donne l'impression d'être prête à faire évoluer la position belge "Il faut qu'on arrive à un accord, donc ça ne sert à rien de camper sur ses positions." Mais d'insister, néanmoins, sur le fait que "tel qu'il est en état, le texte ne pourrait pas être approuvé".
À l’autre bout du spectre, les pays très réticents, pour ne pas dire opposés à la mise en place d’un tel mécanisme, on n’était pas plus enthousiaste. L’Estonie, l’Allemagne et les Pays-Bas redoutent que la fixation d’un seuil de prix ne menace la sécurité d’approvisionnement en gaz, les fournisseurs se détournant de l’Europe pour vendre aux marchés asiatiques, plus offrants. Selon La Haye, une autre conséquence non désirée serait que les fournisseurs pourraient exiger de leurs clients une prime de risque pour se prémunir des pertes qu’ils encaisseraient si le prix du gaz atteignait le seuil.
Rendez-vous le 13 septembre
"Tout le monde est mécontent, mais dans le sens où on parvient à trouver un compromis quand personne n'est tout à fait satisfait", a constaté le ministre allemand Sven Giegold après la réunion. Comme les Pays-Bas ou le Luxembourg, l'Allemagne insiste sur le fait que le mécanisme de correction doit répondre à des situations d'urgence mais n'a pas pour objectif de maintenir des prix modérés. Les solutions structurelles résident dans la réduction de la consommation d'énergie et dans l'augmentation de la part d'énergies renouvelables dans les mix énergétiques des Vingt-sept.
Dans ce dernier domaine, les ministres se sont entendus sur la proposition de faciliter l’obtention de permis pour l’installation d’infrastructures de production d’énergies renouvelables. Ils ont aussi conclu un accord de principe sur le volet "solidarité, qui comprend un mécanisme pour soutenir les pays menacés de pénurie et la plateforme d’achats communs de gaz. À la demande de nombreux États membres, dont les 15 favorables au plafonnement, il a cependant été convenu que le feu vert définitif pour ces deux textes attendrait que les États membres trouvent un compromis sur le mécanisme de correction.
Les uns estiment que la Commission doit revoir sa copie. Les États membres ont jusqu'à ce vendredi, 15 heures, pour faire part de leurs remarques et observations. Les ministres de l'Énergie se retrouveront le 13 décembre prochain, en vue de conclure un accord, juste avant le sommet européen des 15 et 16 décembre. Plus vite dit que fait. Jozef Sikela conserve l'optimisme de la volonté. "Ne vous attendez pas à ce que nous ne trouvions pas de consensus. Il y a trop en jeu."