Pour abattre le beau Patrice

PAUL VAUTE
Pour abattre le beau Patrice
©EPA

Cinq pages de projet d'organisation d' «une action directe que vous comprenez contre notre beau gibier, que j'appellerai le perdreau». «Perdreau» se dit «patrijs» en néerlandais: un code quasi transparent pour désigner Patrice Lumumba... Sous le texte dactylographié figure la mention manuscrite: «Note d'instruction remise au Col. Jo. Dés. Mobutu à sa demande pour former groupe d'action pour abattre le beau Patrice».

La pièce se trouve dans les archives d'Edouard Pilaet (1911-1998), conservées au Centre d'études et de documentation Guerre et sociétés contemporaines (Ceges), dont nous avons pu prendre connaissance. Leur auteur n'est pas le premier venu. Ancien chef de la résistance à Anvers, à la tête des Milices patriotiques du FI, il s'est trouvé au Congo, comme administrateur de sociétés, en relations avec la plupart des entreprises dans les années 50 et 60.

Ceci pour la partie alors visible. Les tâches «discrètes», évoquées dans la correspondance, relèvent en partie du renseignement classique, en partie de l'organisation de la propagande. Mobutu, Iléo, Kasavubu et d'autres leaders sont approchés pour leur faire comprendre que le communisme international menace tous les adversaires de la politique lumumbiste: «Une lutte sans merci dont le résultat sera, réconciliation ou non, la disparition de Patrice ou d'eux-mêmes». Et bien sûr, «la condition sine qua non du retour des bons Belges» est que «Lumumba soit à jamais écarté du pouvoir et mis hors d'état de nuire», écrit Pilaet.

Dans une autre note où il tire les leçons de «l'entreprise Beau Temps, liquidation totale de Congo-Meubles», «A. Lapite» (son nom d'emprunt) note le 13 octobre 1960 qu'il a entamé en Belgique «une organisation minutieusement mise au point», mais qu'à son arrivée à Léopoldville, «rien n'était fait». Pour lui, «l'entreprise» devait être menée par un groupe formé chez nous, avec pour chef «un homme qui connaît (...) les toutes dernières manigances et entourloupettes que Notre Patrice effectue tous les dimanches avec une désinvolture déconcertante.»

En contact avec le consulat belge de Brazzaville, le lieutenant-colonel Marlière, officier de la Force publique lié à Mobutu, Norbert Laude, ancien directeur de l'Université coloniale à Anvers (qu'il a connu dans la résistance), Pilaet «mouille» aussi le «Comte A» (d'Aspremont Lynden, le ministre belge des Affaires africaines) qui, «étant un ancien résistant», mesurera à quel point on manque à Bruxelles «des notions élémentaires d'une action clandestine»...

Le complot a échoué, comme beaucoup d'autres, mais il est instructif. «Ce qui est décrit là est exactement le genre de travail que Pilaet faisait pendant la Seconde Guerre mondiale», nous dit Dirk Martin, historien du Ceges. Un épisode révélateur d'une époque marquée tant par le souvenir encore proche des années noires que par la montée de la menace soviétique.

© La Libre Belgique 2001

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