Passerelles pour enfants venus d'ailleurs

Pas facile d'être élève sans comprendre le français. À moins d'être dans une classe spéciale. L'asbl Sima de Saint-Josse (Bruxelles) s'occupe depuis 20 ans d'insertion sociale pour les candidats réfugiés

PAR ANNICK HOVINE

RENCONTRES

L'expression, barbare, fait sourire Arslan Yasar, directeur de l'asbl Sima (pour Service d'intégration, d'insertion, missions actions): «Primo-arrivant, c'est assez nouveau et très à la mode». Mais cette association de Saint-Josse (Bruxelles) s'occupe depuis 20 ans d'insertion sociale pour les candidats réfugiés. «Ces dernières années, nous avons beaucoup de ressortissants des pays de l'est, qui arrivent avec un solide bagage scolaire», observe M. Yasar. Ils viennent de Tchétchénie, de Moldavie, d'Ukraine ou du Kazakhstan, avec des diplômes de docteur en chimie ou en physique nucléaire.

En janvier 2001, l'asbl Sima démarrait un projet visant la mise à niveau des enfants primo-arrivants. Tous les jours de 16 à 17h30 et le mercredi de 14h à 16h, une quinzaine d'élèves de 6 à 15 ans suivent les «ateliers de travail» animés par Christelle Brunemer (30 ans, spécialiste en formation d'adultes et d'enfants) et Laurent Daxhelet.

«La situation instable des parents, en attente d'une réponse à leur demande d'asile, constitue une véritable difficulté», continue Arslan Yasar. Si l'avenir s'annonce mal, la tentation est grande de (re) plonger dans la clandestinité. Ainsi, en janvier dernier - une filière entre Almaty et Bruxelles venait d'être mise au jour -, les petits élèves kazakhs ont disparu dans la nature... Certains ont refait surface en juin.

La méconnaissance de la langue reste l'obstacle le plus important à la scolarisation des élèves venus d'ailleurs. D'où la nécessité de commencer par l'abc du français. «Les professeurs n'ont pas toujours les méthodes pour s'adapter au public des primo-arrivants», observe Christelle. A l'asbl, on favorise l'approche ludique et les techniques d'alphabétisation. Le succès à l'étranger d'Adamo ou de Joe Dassin facilite l'approche. «On a chanté «Siffler sur la colline» en français et un petit Kazakh a terminé le refrain en ouïghour», raconte Laurent, jeune diplômé A 2 qui a interrompu des études d'instituteur pour ce «travail très motivant» à l'asbl Sima.

L'immersion totale est de rigueur dans les ateliers. «On mélange les nationalités et ça réussit bien», continue le jeune formateur. Pour chaque mot étranger prononcé, les gamins doivent mettre 5 FB dans une tire-lire. «La boîte est presque toujours vide».

SCOLAIRE OU OLÉ-OLÉ

L'athénée Victor Horta, à Saint-Gilles (Bruxelles), organise depuis 10 ans déjà des classes pour primo-arrivants. L'établissement a d'ailleurs été retenu parmi les 12 écoles bruxelloises autorisées par le nouveau décret à organiser des classes-passerelles (lire ci-dessous). Au cours de la dernière année scolaire, 85 élèves ont fréquenté ce qu'on appelait jusqu'ici les Clad (pour classe d'adaptation) de Victor Horta. Comme Orchidéa, 14 ans, passionnée par la danse, qui vient de République dominicaine, Catherine, une jeune Russe, Magomed (16 ans, de Tchétchénie) ou Evgeni, footballeur ukrainien de 12 ans. «J'ai 42 nationalités différentes dans l'école et c'est très enrichissant»

Se réjouit Viviane Piedanna, préfète des études. «Les enfants qui viennent des pays de l'Est sont très scolaires et respectueux de l'institution. Les Latinos sont plus olé-olé et c'est charmant». Ce qui implique, au départ, une grande hétérogénéité dans les 4 classes pour primo-arrivants. Et souvent, quand le professeur a réussi à la stabiliser, un petit nouveau débarque d'Asie, d'Afrique ou d'ailleurs... et tout est à recommencer. Pour les 12-14 ans, la grille de 30 heures par semaine prévoit notamment 14 heures de français et 5 heures de math. Aux 12 heures de français des 14-18 ans s'ajoutent 2 heures de néerlandais, 2 autres d'anglais, ainsi que 2 heures de cours consacrés à la société belge. «Je suis en admiration devant ces gosses qui arrivent ici sans connaître la langue. Ils font en peu de temps des progrès remarquables». Les professeurs des Clad ont tous suivi une formation d'une semaine: «La première chose qu'on y fait, c'est de les accueillir en arabe ou en russe». Yeux écarquillés, incompréhension totale: l'effet est garanti. Un moyen d'expérimenter par eux-mêmes la situation de leurs élèves qui atterrissent un jour en Belgique.

© La Libre Belgique 2001


Le nouveau décret visant l'insertion des élèves primo-arrivants dans l'enseignement organisé ou subventionné par la Communauté française entre en vigueur à la rentrée. Il vise à offrir à tous les enfants de candidats réfugiés un encadrement scolaire adapté pour leur donner, comme à tous les autres élèves, des chances d'émancipation par l'éducation. Une structure spécifique, appelée classe-passerelle, construite autour de projets spécifiques des équipes éducatives et dotée de moyens propres, accueillera ces élèves durant une période d'une semaine à 6 mois, durée maximale qui peut être renouvelée une fois. L'école qui organise une telle classe-passerelle recevra en complément de son capital-périodes, 30 périodes pour l'ensemble de l'année scolaire. Le gouvernement de la Communauté française peut créer ou subventionner une classe-passerelle, en primaire comme en secondaire, dans chaque commune où est installé un centre d'accueil pour candidats réfugiés si ce centre accueille au moins 12 enfants de moins de 5 à 12 ans ou 12 mineurs de 12 à 18 ans. Dans la région de Bruxelles-capitale, le gouvernement crée ou subventionne une classe-passerelle dans 12 écoles au plus.

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