Albert Ier à Léopold: «Ton père et ami»

Trois lettres inédites éclairent l'étonnante complicité établie entre notre troisième Roi et son fils. Elles éclairent notamment les liens privilégiés entretenus par celui qui se désigne comme le «dévoué papa et ami» de «son savant et si cher fils» ou encore leurs convictions partagées sur la réforme de la politique menée par la Belgique en Afrique.

PAUL VAUTE

Dès le début des années 1930, Albert Ier et le futur Léopold III ont partagé la conviction qu'une réforme en profondeur s'imposait dans la politique belge au Congo et au Rwanda-Urundi.

On savait qu'après un long séjour (et qui n'était pas le premier) en Afrique centrale, le Prince héritier prononça un discours particulièrement sévère à cet égard, le 25 juillet 1933, au Sénat dont il était membre de droit. De nouvelles sources montrent à présent que ce texte controversé reçut le soutien total et sans réserve du Souverain.

C'est l'un des enseignements qui se dégagent de trois lettres inédites de notre troisième Roi à son fils, qu'un vent favorable a apportées à «La Libre Belgique». À quelques semaines du centenaire de la naissance de Léopold III (3 novembre 1901), un ouvrage collectif, sous la direction de Michel Dumoulin (UCL), Mark Van den Wijngaert (KUBrussel) et Vincent Dujardin (UCL), sortira de presse ce mardi aux éditions Complexe. Un livre-événement, sur lequel nous reviendrons dans nos prochaines éditions, mais qui ne contient pas, exception faite pour quelques lignes, la correspondance que l'on trouve en intégralité dans les articles mentionnés ci-contre en lire aussi.

ARMÉE, LANGUES, FINANCES

«Je partage tout à fait les idées qui y sont développées, elles ne seront pas acceptées par tout le monde» : ainsi s'exprime le roi Albert à propos du rapport congolais présenté à la Haute assemblée par Léopold. Sur place, celui-ci a été effrayé par l'état de l'agriculture, la manière dont les richesses sont exploitées sans se soucier de la part due aux indigènes, la mentalité régnant dans l'administration territoriale... Le chef de l'État a bien pressenti l'accueil qui sera réservé au propos princier: un grand retentissement mais aussi une vive indignation dans nombre de milieux coloniaux.

D'autres missives éclairent les liens privilégiés entretenus par celui qui se désigne comme le «dévoué papa et ami» de «son savant et si cher fils». Celui-ci le rendra bien au «roi chevalier» qui sera, tout au long de sa vie, son modèle permanent.

De Misurina, dans les Dolomites, le Roi attend, le 31 août 1927, des nouvelles «et des espérances» de Léopold et d'Astrid (Joséphine-Charlotte naîtra le 11 octobre 1927). Mais en ce temps de détente, il reste préoccupé par la question militaire qui «deviendra très difficile», ajoutant ces propos qui prennent un singulier relief quand on connaît la suite de l'histoire: «Ce serait bon que tu suives cela car tout ce qui se fera maintenant dans ce domaine aura de grandes conséquences dans l'avenir et te concerne aussi.»

Notre troisième pièce, datée de janvier 1932, est écrite depuis l'Italie, alors que le couple princier accomplit un long périple en Extrême-Orient (Colombo, Singapour, Siam, Bangkok, Mekong, Hanoï, Saigon, Hong-Kong, Manille...). Albert Ier tient son fils au courant de son propre voyage mais aussi de la situation intérieure inquiétante - on est en pleine grande dépression - et de l'emploi des langues dans l'administration: «Le gouvernement a pris une bonne position , écrit-il : monolinguisme - bilinguisme à partir et y compris le grade de directeur.»

Le chef de l'État, qui a vu son propre portefeuille de valeurs connaître une moins-value de 50 pc environ, évoque aussi l'obligation où on va se trouver de réduire tous les traitements de 8 ou 10 pc ainsi que le recours à un emprunt dans le pays pour maintenir son indépendance financière: «On compte sur un élan patriotique de la population?» Le point d'interrogation, mis à la fin d'une phrase conçue au départ pour être affirmative, n'en est que plus éloquent...

En ces circonstances, le destinataire de l'écrit est d'autant plus vivement invité à plaider la cause de nos exportateurs «auprès des potentats orientaux» , et même à ne «pas hésiter à subir quelques réceptions dans ce but» ...

© La Libre Belgique 2001

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