Le monde juif à l'assaut des banques

Les négociations sur les biens spoliés sous l'occupation sont bloquées.Si elles n'aboutissent pas ce mercredi, la patate chaude sera pour Verhofstadt I.

Paul Vaute

S'agit-il de la traditionnelle phase de dramatisation-musculation dans les négociations délicates? Ou au contraire d'une rupture franche et brutale qui risque d'obstruer pour longtemps les voies de la conciliation? Toujours est-il que les portes ont claqué, lundi en fin de soirée, à l'issue d'une réunion de la dernière chance entre représentants du monde juif, de l'Etat, des assurances et des banques, en quête d'un accord sur les montants des restitutions destinées aux survivants des déportations nazies ou à leurs ayants droit ainsi qu'à une Fondation du judaïsme belge.

Or, il y a urgence. La loi de dédommagement votée en décembre dernier avait fixé, quant à sa concrétisation chiffrée, un délai qui expire ce mercredi, faute de quoi `c'est le gouvernement qui tranchera par arrêté royal de manière autoritaire, régalienne´, explique MeMischaël Modrikamen, avocat de la communauté juive. Au Seize, les dispositions seraient d'ailleurs déjà prises pour être soumises jeudi au conseil des ministres.

Milliards de milliards

Pour rappel, c'est en juillet 2001 que la commission dite Buysse -du nom du Grand Maréchal honoraire de la Cour- avait remis ses conclusions après trois années de recherches sur les biens juifs spoliés. Les discussions qui s'en sont suivies ont abouti avec le gouvernement et étaient hier à portée de main avec l'Union professionnelle des assurances (UPA). Elles achoppaient toujours, en revanche, avec l'Association belge des banques (ABB).

Pourquoi? En gros, Verhofstadt I aurait accepté le montant des spoliations attribué à l'Etat par le rapport Buysse, soit 74247758 francs de 1945, à multiplier par 24,78 pour arriver à 1,84 milliard de francs 2002 ou 45,6 millions d'euros.

Les assureurs doivent pour leur part 10921937,66 francs de 1945 et des spécificités propres au secteur ont fait accepter un facteur multiplicateur de 40 à 45, les dernières contestations portant sur un montant d'1 à 1,5 million d'euros.

Avec les banques, en revanche, le choc est rude: elles mettent en cause le montant des experts -88502344 francs 1945- et proposent un coefficient de réévaluation (15-20) jugé insuffisant par les représentants juifs (qui veulent 30-35). Au total, une offre bancaire de 1,8 milliard de francs (44,6 millions d'euros) fait face à une exigence juive de 2,6 à 3 milliards de francs (64,4 à 74,3 millions d'euros).

David Susskind, coprésident de la Commission nationale de la communauté juive de Belgique pour la restitution (CNCJBR) se dit `personnellement un peu écoeuré´ : `Comment ne pas être peiné par des gens qui discutent encore les chiffres quand ceux-ci ont été prouvés par des experts?... Et pourquoi les banques n'ont-elles pas cherché les héritiers après la guerre? Selon la loi, l'argent qui n'a pas été réclamé doit aller à l'Etat. Or, le Premier ministre m'a dit que l'Etat n'a rien reçu des comptes en déshérence´.

© La Libre Belgique 2002


`Un certain héroïsme´ C'est peu dire qu'on en a pris plein l'estomac, mardi, à l'Association belge des banques (ABB). Tout en affirmant que le dialogue avec les représentants de la communauté juive `reste ouvert´, ses responsables ont tenu à rappeler le `grand civisme´ dont ont fait preuve les établissements en Belgique pendant la Seconde Guerre mondiale, ainsi qu' `un certain héroïsme à l'égard de la population juive´ dont les livres d'histoire `font mention´. Le montant de 1,8 milliard de F avancé par l'ABB `a été, précise cette dernière, comparé à celui versé par les banques en France et aux Pays-Bas, en tenant compte de la population juive et des déportations dans chacun de ces pays. En retenant les montants globaux payés par les banques en France et aux Pays-Bas, lesquels couvrent également la part de `dédommagement moral´ que les banques belges ne doivent pas assumer, le montant global proposé par l'Association est très largement supérieur´. Et de préciser que la restitution proposée chez nous représente 1487 € par Juif déporté contre 1409 chez nos voisins du Sud et 1013 chez nos voisins du Nord. Mais pourquoi avoir contesté les chiffres du rapport Buysse? C'est que ce dernier constitue un `point de départ´, plaident les banques: `Chacune a analysé les données la concernant, après en avoir pris connaissance lors de la publication du rapport en juillet 2001. En effet, aucun débat contradictoire n'a permis aux banques de connaître plus tôt les données individuelles retenues et donc de s'exprimer sur celles-ci avant la publication du rapport´. On fait aussi valoir les démarches et la procédure `toujours d'application´ par lesquelles, après la guerre, les héritiers d'avoirs de leurs parents disparus ont été aidés et informés. (P.V.)

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