Charles, le «sauveur du brol» était mal vu des siens
Publié le 08-06-2006 à 00h00
Certes, à peine élu, il (le prince Charles, NdlR) a marqué le souhait d'envoyer un télégramme personnel aux chefs d'Etat étrangers afin de les mettre au courant de la situation. Spaak, qui était alors ministre des Affaires étrangères, y était opposé et crut bon de lui rappeler qu'il ne s'agissait que d'une régence et non d'un changement de règne, avant de finir par céder. Néanmoins, Charles fut assez rapidement convaincu que sa mission se limitait à - selon ses propres mots - «sauver le brol».
Il n'y a donc pas réellement eu en Belgique de risques de carlisme à l'Espagnole. On peut certes parler d'un «carlisme de gauche», les ministres socialistes oeuvrant en faveur d'une prolongation de la régence et d'une mise à l'écart de Léopold III. Mais que la presse léopoldiste laisse entendre qu'il ne marquait pas de hâte à quitter ses fonctions est dénué de fondement. Pourtant, même au sein de sa famille, sa position de régent le plaçait dans une position délicate. A la fin de l'année 1948, sa tante religieuse bénédictine, Marie-Joséphine, lui demande à la faveur d'un courrier de se retirer en faveur de Léopold.
Charles lui répond le 25 février 1949, et fait siennes les idées défendues par Albert Ier lors de son discours d'avènement: «J'ai la vision très nette de ma tâche. Le devoir des Princes est dicté à leur conscience par l'âme des peuples, car, si le Trône a ses prérogatives, il a surtout ses responsabilités. Il faut que le souverain se tienne avec une entière loyauté au-dessus des partis». Notons que cette lettre a été rédigée par André de Staercke.
De même, le 27 juin 1945, le prince Axel du Danemark et son épouse, qui est la soeur d'Astrid, confient à l'ambassadeur des Pays-Bas à Copenhague que le problème de Léopold III réside dans les intrigues personnelles du régent.
Quant à Elisabeth, elle lance à son fils après l'élection de ce dernier : «Alors, tu deviens régent maintenant!», ou écrit à Léopold en 1945 : «Le 10 octobre, de Gaulle vient à Bruxelles. Il paraît que je dois donner un thé pour lui avec des invités. Charles viendra aussi. Quel honneur d'avoir Monsieur le Régent». «Va voir une pièce de Pirandello et tu auras la même impression de ce qui se passe dans notre maison»; «Charles ne vient jamais, il paraît qu'il est parti pour Londres, peut-être chercher des saucisses».
Pourtant, une lettre envoyée par Lilian à Charles le 17 juin 1945 peut donner à penser qu'une ouverture restait possible et que l'épouse du Roi aurait pu jouer un rôle de «go-between». On y lit : «Thanks for flowers and so on. Lé (Léopold) is very tired and very nervous, but we'll get him on his feet again. Le temps est beau et l'atmosphère adorable. C'est dommage que vous n'êtes pas ici». Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si c'est à ce moment que Van Acker et Charles auraient commis l'incroyable erreur de proposer à Lilian une somme d'argent au cas où elle accepterait de quitter son mari avec les enfants afin que Baudouin soit éduqué à la succession du trône loin de son père qui aurait été abandonné à son triste sort. Il reste qu'en tant que régent, Charles continue à informer son frère de l'évolution de la situation, tout en revenant sur la question de l'éducation des héritiers. Le 16 août 1945, il l'informe du fait qu'au pays, «la situation commence à se redresser : le ravitaillement est plus aisé et l'industrie reprend. L'armée est de 110 000 hommes. Les projets financiers vont être votés». Il poursuit : «J'ai été heureux d'apprendre que Baudouin irait peut-être à Eton. Je pense que pour la formation du caractère, la marine offre encore plus d'avantages; si tu aimais à faire passer à tes enfants un séjour en Belgique avant les élections, sois assuré qu'ils seraient les bienvenus chez moi».
Mais entre Charles et Léopold, il n'y aura plus, désormais, que des juxtapositions de monologues, et ce jusqu'en juillet 1950, soit à la fin de la régence. (...) Charles a assurément été un bon régent. Même si comme le dit André de Staercke, il eut en définitive des défauts privés et des qualités publiques, tous ceux qui l'avaient côtoyé durant près de six ans ont pu constater qu'il s'était fortement investi dans sa mission. Le social-chrétien Gaston Eyskens lui écrit une lettre de reconnaissance, s'associant ainsi secrètement à l'hommage officiel rendu par le parti libéral et le PSB. L'ambassadeur des Pays-Bas en poste à Bruxelles note en substance le 4 juin 1950 qu'une fois devenu régent, Charles est devenu plus sérieux, qu'il s'était déjà bien comporté pendant la guerre et qu'il a rempli son rôle de chef de l'Etat avec tact et discrétion.
Extrait de «La Belgique sans Roi. 1940-1950 », Mark Van den Wijnghaert et Vincent Dujardin.
© La Libre Belgique 2006