DHKP-C: erreur ou machination d'Etat ?
Bahar Kimyongur, un Belge établi à Bruxelles, avait été nuitamment arrêté aux Pays-Bas le 28 avril 2006, alors qu’il se rendait à un concert engagé. En cause : un mandat d’arrêt international lancé par la Turquie, qui le recherche pour appartenance – via son bureau belge – au DHKP-C, une organisation turque d’extrême gauche réputée terroriste.
Publié le 18-09-2006 à 00h00
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Bahar Kimyongur, un Belge établi à Bruxelles, avait été nuitamment arrêté aux Pays-Bas le 28 avril 2006, alors qu’il se rendait à un concert engagé. En cause : un mandat d’arrêt international lancé par la Turquie, qui le recherche pour appartenance – via son bureau belge – au DHKP-C, une organisation turque d’extrême gauche réputée terroriste. Par hasard, disaient alors les autorités belges, qui savent que notre royaume n’extrade pas ses nationaux. Mais on avait vite été surpris par cet étonnant hasard (LLB 2/5).
Il n’en était peut-être pas un : avant de relâcher le 4 juillet M. Kimyongur pour “manque de motifs”, la justice néerlandaise a indiqué que la Belgique était intervenue dans cette arrestation. M. Kimyongur est-il terroriste ? Il dit n’avoir fait que traduire des tracts. Avec d’autres, il a cependant été condamné en première instance, sur réquisitions du procureur fédéral Johan Delmulle, pour appartenance à une organisation terroriste, par le tribunal de Gand le 28 février 2006, en même temps par exemple que Fehriye Erdal. Avec d’autres aussi, il est allé en appel, le procès étant du reste en cours. Lundi, M. Delmulle a requis de lourdes peines (10 ans pour le chef Musa Asoglu, 5 ans pour Erdal et Kimyongur) parce que “la Belgique ne doit pas devenir un port franc du terrorisme”.
Voilà pour les rétroactes. La nouveauté est l’apparition d’un rapport d’une réunion tenue à l’initiative de la Justice au Centre de crise (ministère de l’Intérieur) à propos de Kimyongur le 26 avril dernier – deux jours avant son arrestation. Une réunion de 25 hauts responsables, des cabinets du Premier ministre, de l’Intérieur, de la Justice – la chef de cabinet adjointe de Mme Onkelinx, Pascale Vandernacht, présidait –, de la Police fédérale et de la Sûreté de l’Etat, de MM. Delmulle et Bernard, pour le parquet fédéral, du parquet d’Anvers, de la police d’Etterbeek, etc. Jacques Raes (Centre de crise) en a établi le procès-verbal de 7 pages, dont “La Libre” a eu connaissance.
Objet en titre : voir de quelles possibilités disposent les autorités judiciaires pour arrêter ou interpeller M. Kimyongur, alors qu’il semblait vouloir quitter le territoire. Il n’y en avait aucune, fut-il constaté. Le débat allait ensuite sur le besoin d’un contact avec les services néerlandais, pour une observation. Mais, phrase troublante : “Le parquet fédéral peut prendre (des) contacts en vue d’arrêter Kimyongur aux Pays-Bas […] et d’examiner les possibilités de l’arrêter sur la base du signalement Interpol aux fins de le livrer à la Turquie”.
Si cette version est exacte, elle a un goût insupportable : celui de la machination d’Etat contre un citoyen qui, quoi qu’il ait fait ou pas, dispose de droits. Est-ce le cas ?
Pascale Vandernacht dément : “Après le cas Erdal (NdlR : dont la fuite a fait l’actualité fin février) et les enseignements des Comités R et P, et dès lors que nous avions une information comme quoi M. Kimyongur allait quitter la Belgique sans attendre le procès d’appel, il était normal que, au niveau gouvernemental, on s’en inquiète”.
“Un service a confirmé les craintes. Le parquet fédéral s’est alors retiré, a pris contact avec le juge d’instruction.” Mme Vandernacht refusait lundi de nous dire pourquoi, mais on sait par ailleurs qu’il est question d’une filature en Hollande dans l’espoir d’obtenir des indices sur Erdal (amie de l’épouse de Kimyongur).
Bref, “le parquet fédéral a déclaré qu’il devait prendre contact avec les Pays-Bas pour donner des informations et signaler le mandat d’arrêt international turc. Nous voulions éviter l’arrestation de M. Kimyongur aux Pays-Bas”.
Logique : il fallait que l’observation soit menée à terme. Mais, le PV signé par M. Raes dit le contraire. “Ce n’est pas celui qui a été adopté. Le parquet fédéral a immédiatement réagi en le lisant, car la finalité des choses n’était certainement pas l’arrestation.” Le PV a donc été corrigé après une “erreur de transcription”.
Il reste que le gouvernement, Premier ministre compris, subira sans doute des questions sur cette étonnante “erreur”, sur le fait que, après des semaines de dénégations sur le sujet, un PV corresponde quand même à la suspicion initiale (LLB 2/5). Et, s’il fut dit que c’est par erreur que les Néerlandais avaient arrêté Kimyongur, il le fut malgré tout bel et bien.