Douze mois, trois chutes, un cas

paul piret

évocation

On verra, le moment venu". Ponctuation fuyante de nos gesticulations politiques et jingle fébrile pour "Semaine infernale", ces cinq mots sont devenus plus familiers à tout Belge normalement constitué qu'un ballotin de pralines. La formule laconique singularise son auteur, dépeint un naturel ruminatoire, résume une trajectoire de doutes et de bourdes. Yves Leterme ne tranche pas, il bourre l'entonnoir. Il ne met pas au frigo, il reporte. Il n'accorde pas, il acte les divergences. "On verra"... C'est la procrastination élevée au niveau des beaux-arts politiques décadents.

Or, pour trois moments, c'est tout vu. Sortez vos mouchoirs. Voici la ballade de gens malheureux, la complainte d'un perdant, la charade d'un maudit.

Mon premier moment est le 23 août 2007. Au Jour J + 74 de la crise, Yves Leterme tombe une première fois comme formateur. "Le terminus", titre "La Libre" le lendemain. Il a échoué dans sa tentative d'accord de gouvernement entre MR, VLD, CDH, CD&V. Pourtant, ses voix du 10 juin - et tant de drapeaux flamands pour escorter son triomphe ce soir-là - n'avaient laissé aucun doute sur son émergence, une fois sacrifié un temps d'information à Didier Reynders, une fois consentie une médiation à Jean-Luc Dehaene (dont le maladroit aura précipité la fin). Mais voilà, même ses très lointains cousins CDH le décrivent incapable de mener à bien sa mission. Lui dit : "J'ai constaté ce jeudi qu'il était momentanément impossible d'arriver à mettre au point un programme de gouvernement ambitieux".

Mon deuxième moment est le 1er décembre 2007. Au Jour J + 174 de la crise, Yves Leterme tombe une seconde fois comme formateur. "Veni, vidi... fini", commente "La Libre" ce matin-là. Dur... Dur d'être plus indulgent pour celui qui s'est ingénié à presser l'orange bleue jusqu'au plus amer, dans un vide qui donne le vertige. Pourtant, fin septembre, lorsque le Roi lui avait rendu son tablier, une fois Herman Van Rompuy délesté de celui d'explorateur, on avait prédit Leterme averti, mûri. Mais voilà, on le charge, à raison et aussi parce que c'est commode : manque de créativité et panne de projet, échec d'une méthode et flop d'une stratégie, strabisme d'un Flamand toujours trop tourné vers le Nord pour rassembler, effet boomerang des slogans d'antan (ah ! ces 5 minutes de courage suffisant à résoudre BHV, au lieu de quoi on eut droit à la "première gifle" flamande de toute une série, le 7 novembre en commission de la Chambre)... Lui dit : "Il n'est pas sérieux de continuer sans accords clairs".

Mon troisième moment est le 14 juillet 2008. Non, il ne s'agit plus de Marseillaise. Yves Leterme tombe pour la troisième fois, cette fois comme Premier ministre. Qu'il était devenu le 20 mars, après un intérim ébouriffant et bluffant de son prédécesseur battu au scrutin, Guy Verhofstadt. "Leterme jette l'éponge", titre "La Libre" en cours de tirage. Pourtant, après bien des moments déroutants (ah ! ces sauts de puce à Lima ou Ljubljana), décevants (ah ! la remontée de BHV en plénière à la Chambre), débilitants (ah ! cette gestion erratique du temps), les derniers moments étaient devenus plus flatteurs. Est-ce le métier qui rentrait, une tactique qui s'adaptait, le Premier recevait des premiers compliments autres qu'obligés. La pentapartite venait même d'accoucher d'un bébé budgétaire, social et fiscal présentable; on n'écartait pas lundi des perspectives nouvelles de négociations institutionnelles au principe desquelles les plus fermés s'étaient ouverts. Mais voilà, c'était sous-estimer le couperet programmé de la mi-juillet, ses pompes, ses oeuvres, ses peaux de bananes et ses pièges à loups. Lui dit : "Le timing prévu n'est pas respecté".

Mon tout est un homme de cire qui est un homme de crises. Et dont la déveine prit une autre tournure à la mi-février, quand celui qui était alors vice-Premier ministre de Verhofstadt III dut d'urgence être opéré. De retour le 2 mars, sur You Tube, lui dit : "Je retourne vers ce monde un peu rude de la politique".

Un peu rude... Au fait, pas question de tirer sur une ambulance. Pas plus que de lui mettre à son seul compte - on l'a trop fait - une crise post-électorale jamais vraiment refermée. Mais convenons qu'il a tendu tous les bâtons pour le battre. Convenons aussi qu'il porte deux équivoques jamais levées : sa contradiction entre ses visées flamandes et la plus haute fonction belge; l'implication déterminante de ses cartellisés ouvertement séparatistes, alors que le blocage de base réside dans le fait que l'on n'a plus le même projet d'Etat. Et convenons que le mystère Leterme n'est pas levé, ce Leterme dont on ne sait trop s'il faut attribuer les échecs répétés à de l'incapacité ou au cheminement incertain d'un dessein par trop personnel.

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