Mgr Léonard: "La multiculturalité, une chance"

Le nouvel archevêque de Malines-Bruxelles n’hésite pas à sortir des sentiers battus. Au niveau des intentions mais aussi à contre-courant des clichés conservateurs qui l’ont accompagné depuis 19 ans dans le diocèse de Namur. Chattez de 15h30 à 16h30 avec notre journaliste Christian Laporte

Christian Laporte
Mgr Léonard: "La multiculturalité, une chance"
©Johanna de Tessières

Entretien

Au-delà des priorités déjà exprimées, M gr Léonard lève un coin du voile sur son action à venir pour "La Libre".

Vous voilà archevêque de Malines-Bruxelles… Le sommet d’une carrière au service de l’Evangile ?

C’est surtout une responsabilité plus large et plus complexe au service du Seigneur et de son Eglise qui m’échoit par cette nomination

D’aucuns vous voient déjà cardinal et même “papabile” !

Tout est toujours possible, mais la devise du doyen qui m’a formé dans ma jeunesse était "une bêtise à la fois" Devenir cardinal n’est pas impossible, puisque c’est une tradition que l’archevêque de Malines-Bruxelles le soit fait après un certain temps mais ce n’est pas directement dans mon plan de carrière !

En 1999, lorsque vous prêchâtes le carême à Rome pour Jean-Paul II et la Curie, on a dit qu’on vous avait choisi pour vos qualités de théologien. L’Histoire se répéterait-elle ?

Je ne me suis jamais présenté comme un théologien. Le cardinal Newman disait qu’un théologien est quelqu’un qui, à propos de n’importe quelle question touchant la foi, est capable de vous dire dans l’heure les doctrines des Pères de l’Eglise et de synthétiser l’ensemble des conciles. Je ne me sens certainement pas théologien professionnel mais plutôt philosophe. Cela dit, je n’ai guère eu de confidences sur ce choix. En 1999, c’était aussi lié à mes contacts avec Jean-Paul II qui avait lu certains de mes écrits.

Aurait-on alors honoré l’évêque qui a remis de l’ordre, selon les normes vaticanes s’entend, à Namur ? Cela n’a pas dû déplaire à Jean-Paul II et à Benoît XVI…

Je ne sais pas si j’y ai mis beaucoup d’ordre. Ce n’est pas en ces termes-là qu’il faut faire le bilan. Je m’étais fixé quelques objectifs. Dont une visite intégrale du diocèse jusque dans les moindres recoins, ce que j’ai fait trois fois. Ce fut très instructif. J’entendais aussi poursuivre le remembrement paroissial lancé par Mgr Mathen. Je l’ai commencé, mais ça s’est beaucoup dynamisé avec l’arrivée de Mgr Warin qui s’y est mieux pris que je ne le faisais. Puis je voulais favoriser toutes les vocations, plus particulièrement sacerdotales par une formation théologique et philosophique de qualité. Le Studium mis en place est un très bon instrument au service de l’Eglise. Etait-ce là remettre de l’ordre ? J’ai donné au diocèse des instruments de formation qui furent utiles aux laïcs, aux enseignants comme aux assistants paroissiaux.

Benoît XVI connaît très bien aussi vos convictions…

J’avais déjà rencontré le cardinal Ratzinger lorsque je présidais le séminaire et lors de chaque pèlerinage diocésain à Rome, j’ai chaque fois demandé à le revoir en plus du Pape. Il nous consacra chaque fois une heure et expliqua son travail aux séminaristes. Puis nous nous sommes fréquentés plus assidûment de 87 à 91 au sein de la commission théologique internationale. Quel bonheur de travailler et de vivre une semaine avec lui et de voir sa discrétion, son intelligence, sa capacité de synthèse

Vous avez promis d’être plus collégial. Le Léonard nouveau est donc vraiment arrivé ?

Nouveau ? Un homme évolue et puis l’expérience assagit ou assouplit, mais il y a aussi le fait que j’aurai bientôt 70 ans. Je dois être économe de mon temps et de mes énergies; en tout état de cause, je devrai déléguer et j’arrive dans un diocèse que je connais à peine.

Pourquoi aller à la rencontre de Bruxelles, puis du Brabant flamand et enfin du Brabant wallon ?

Il est normal de se tourner d’abord vers la capitale du pays. J’ai d’ailleurs l’intention si c’est possible de résider en partie à Bruxelles comme jadis le cardinal Suenens. Pourquoi ensuite la partie flamande ? Il ne serait pas bienvenu de la part d’un archevêque wallon d’enchaîner par le vicariat du Brabant wallon. Surtout que l’accueil flamand actuel est bon. On ne me reproche pas d’être Wallon

Vous arrivez à Malines-Bruxelles dans une Belgique moins chrétienne dont le monde politique veut accroître la séparation de l’Eglise et de l’Etat.

Je suis très favorable à la distinction entre les deux registres, car tout le monde a à y gagner. Ce qui ne signifie pas qu’il n’y ait pas de rapports. La laïcité belge repose sur la neutralité de l’Etat, ce qui ne l’empêche pas de reconnaître et de subsidier les cultes et les morales non confessionnelles. Et surtout, l’Eglise catholique ne réclame aucun privilège.

Mais vous ne pouvez plus vous reposer sur le pilier catholique et sur des partis qui étaient autant de relais.

Ces relais étaient parfois ambigus. Ils pouvaient servir des intérêts de l’ordre de l’intendance, mais ça comporte aussi des risques. Une Eglise trop liée à la politique est associée à ses heurs et malheurs. Cela dit, c’est important qu’il y ait des chrétiens en politique et ce, dans tous les partis pour autant que ce soit compatible avec nos valeurs.

On a rappelé toutes vos déclarations disons litigieuses sur certaines lois. Vous vous tairez vraiment ?

Je n’ai évoqué cela que lorsqu’on m’interpellait. Ces questions sont importantes, mais je regrette qu’on se focalise uniquement là-dessus face à toutes les autres détresses du monde. Regardez Haïti ! Pour moi la grande question est alors : est-ce que Dieu existe ? Wiesel se l’est demandé pour Auschwitz. Mais s’il n’existe pas, ne vaut-il pas mieux être athée comme disait Dostoïevski ? Cela dit, je regrette qu’on parle tant de moi à l’occasion de cette nomination alors qu’il y a des choses plus intéressantes que ce qui concerne ma personne. (ému).

Vos prédécesseurs furent tous très attachés à l’œcuménisme. Sera-ce aussi le cas pour vous ?

J’ai été formé à bonne école grâce à Chevetogne. Dans mon diocèse, j’ai aussi donné des chapelles aux orthodoxes grecs et russes et je fréquente régulièrement le temple protestant de Namur. Cela prendra évidemment plus d’ampleur à Bruxelles de par sa position, mais Chevetogne a été très précieux aussi pour l’œcuménisme belge. Et puis lundi soir, archevêque ou non, j’étais au lancement de la semaine pour l’unité à Namur !

Et les intégristes, les voyez-vous vraiment réintégrer l’Eglise, quand on voit leur rejet de Vatican II ?

Je suis assez dubitatif sur la réussite de l’entreprise généreuse amorcée par Benoît XVI. D’accord pour l’ouverture sur le principe, mais mes préférences ne vont pas à ceux qui s’attachent farouchement au missel de 1962. Les supporters de Mgr Lefebvre ne manquent pas de générosité ou de zèle mais ont des visions étriquées sur le plan intellectuel, philosophique et théologique. Ils ont encore beaucoup de chemin à faire

Vous avez dit ne pas être hostile à dialoguer avec les laïques. Et avec les francs-maçons ?

J’ai déjà eu plusieurs contacts avec eux à Namur. J’aime beaucoup chez eux et chez les laïques pointus qu’ils soient des amis de la raison. J’ai aussi un côté un peu rationaliste; si je n’étais pas chrétien, je serais spinoziste ou hégélien. C’est notre grand bien commun : dans les sciences et ailleurs, la raison nous inspire. J’aime débattre avec eux et m’y sens en très bonne compagnie plus qu’avec certains confrères bizarroïdes.

Votre combat pour les sans-papiers n’a guère été relevé, mais vous vous êtes engagé très loin. Que dites-vous aux politiques à propos de ce dossier qui reste chaud ?

J’y suis très sensible comme je suis préoccupé par ceux qui voient leur emploi menacé. Dans ces moments-là, les évêques doivent être là et descendre dans la rue. La Belgique ne peut pas avoir une politique trop différente de ses voisins, mais je crains que l’Europe ne devienne une forteresse imprenable. Cependant, sans politique de l’immigration raisonnable et raisonnée, elle s’imposera, parce qu’on aura besoin de main-d’œuvre ou sous la pression démographique. Plutôt que de risquer la violence demain, il faut une politique intelligente, éclairée et généreuse de l’accueil. La multiculturalité ne doit pas nous faire peur. Elle peut être un réveil pour nous : confrontés à d’autres cultures et religions, nous aurons peut-être la chance de redécouvrir la joie d’être chrétiens.

C’est un message aux islamophobes…

Je ne dis pas qu’il n’y a pas de risques dans une immigration trop forte, mais le défi de la rencontre doit être relevé et permettra des redécouvertes étonnantes : des catholiques ont redécouvert le carême grâce au ramadan.

Pour conclure, diriez vous aux chrétiens malino-bruxellois comme Jean-Paul II, “n’ayez pas peur… de moi” ?

Je peux le leur dire mais si je me contente de leur dire que je suis beaucoup plus ouvert que ce qu’on a dit, ce serait une parole d’autorité. Par contre, en allant à la rencontre de la base, ces étiquettes disparaîtront ou se nuanceront

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