"Il y a assez d’alternative à l’austérité"

Ca sent la rentrée sociale à plein nez. Ce mardi, la FGTB tient son premier bureau d’après les vacances. Un thème s’imposera forcément dans les discussions : la négociation du prochain gouvernement fédéral et les pistes sur la table pour ramener la Belgique à l’équilibre budgétaire.

Vincent Rocour
"Il y a assez d’alternative à l’austérité"
©Christophe Bortels

Entretien Ca sent la rentrée sociale à plein nez. Ce mardi, la FGTB tient son premier bureau d’après les vacances. Un thème s’imposera forcément dans les discussions : la négociation du prochain gouvernement fédéral et les pistes sur la table pour ramener la Belgique à l’équilibre budgétaire. Dans un entretien à "La Libre", la secrétaire générale du syndicat socialiste, Anne Demelenne met les négociateurs en garde contre la tentation d’instaurer l’austérité.

Comment se présente la rentrée ?

La situation est critique. Cet été, on a eu la chute des bourses et l’euro a connu des difficultés. Il faut rappeler que c’est parce qu’il a fallu sauver des banques, et que les dépenses sociales ont explosé que des Etats sont aujourd’hui confrontés à de graves difficultés. Le drame, c’est que la seule réponse qui est donnée, c’est l’austérité. Cela mine la confiance des ménages et celle des investisseurs. L’austérité peut conduire à la récession. En tout cas, la croissance est en berne.

La Belgique ne s’en tire pas trop mal…

Le fait que la Belgique n’a pas connu de mesures d’austérité peut sans doute expliquer ces chiffres un peu plus encourageants pour la Belgique. Mais attention, les perspectives ne sont pas réjouissantes. L’économie belge est très dépendante des autres économies nationales. Et les consommateurs sont inquiets. Pour preuve, l’épargne ne cesse d’augmenter. En 2008, le montant de l’épargne s’élevait à 170 milliards. On est maintenant à 210 milliards. Et puis, les comptes de l’Etat ne sont pas en équilibre. Or la Belgique a besoin de finances saines pour pouvoir relever les défis qui s’imposent à elle.

Quels défis ?

Il y a l’emploi. On dit que l’emploi ne se porte pas mal. Mais quand on gratte un peu, on se rend compte que 75 % des nouveaux emplois sont fortement subsidiés et que les autres relèvent d’un statut précaire, dans l’intérim ou à durée déterminée. Il y a d’énormes efforts à faire de ce point de vue-là.

Comment créer de l’emploi ?

Il faut relancer l’économie. Mais pas n’importe comment. Nous sommes en train de vivre une troisième révolution industrielle. Il y a eu la vapeur, puis l’informatique, il y a maintenant le développement durable. Des gisements d’emploi sont à portée. Le gouvernement a pris la décision de multiplier par six le nombre d’éolienne sur le territoire. C’est une mesure louable. Mais c’est en Chine que ces éoliennes sont souvent produites. On doit se positionner davantage dans ces créneaux.

L’emploi ne se décrète pas affirment les employeurs. Lesquels se plaignent de devoir subir un handicap salarial. N’est-ce pas là, la priorité ?

Il y a toujours cette volonté de bloquer les salaires. Certains veulent revoir l’indexation automatique des salaires. Cela nous inquiète. Si l’on veut rendre confiance au consommateur, il faut surtout veiller à préserver l’indexation automatique, qui est véritablement le "triple A" de la Belgique. C’est grâce à cela que la Belgique a mieux traversé la crise que les autres pays.

Le problème, ce ne sont pas les salaires. Au contraire, c’est le moteur de l’économie. Le véritable problème, c’est le manque d’investissement dans la recherche et la formation des travailleurs. On compare souvent nos salaires avec ceux des Allemands. Mais on oublie toujours de dire deux choses. D’abord, que la modération salariale a créé beaucoup d’inégalités en Allemagne : depuis 2005, plus de 2,6 millions de personnes sont venus rejoindre le rang des travailleurs pauvres. Et puis, on ne dit pas que les investissements dans la recherche et la formation y sont bien plus élevés que chez nous.

Quelles pistes avancez-vous pour assainir les finances publiques ?

Il faut d’abord mieux lutter contre la fraude fiscale. Au début de la crise, tout le monde disait qu’il fallait mettre fin aux paradis fiscaux. On attend toujours. On doit aussi réduire certains cadeaux fiscaux. Je pense aux intérêts notionnels dont on a dit qu’ils coûteraient 500000 euros et qui en coûtent 10 fois plus sans résultat sur l’emploi. Ce n’est pas un levier. C’est un gouffre.

Le formateur a lancé l’idée d’une taxe temporaire de crise sur les grandes fortunes. Certains capitaines d’industrie n’y seraient pas opposés. Cela doit vous plaire ?

Je trouve intéressant que certains parmi les plus riches reconnaissent qu’ils ne payent pas assez d’impôt. Mais il ne faut pas une taxation de crise. C’est l’ensemble de la fiscalité qui doit être repensée. Structurellement. Notre système crée des inégalités considérables. On a une taxation des revenus mobiliers de l’ordre de 15 % alors que le taux moyen de taxation sur les revenus du travail est de 24 %. Qu’est-ce qui justifie cette différence de 9 % ?

Le formateur Elio Di Rupo tente de mettre sur pied un gouvernement. Les syndicats ont jugé que sa note n’était pas “une base acceptable”. Pourquoi ?

Si nous avons trouvé cette note déséquilibrée, c’est parce que toutes les baisses de dépenses sociales étaient déjà détaillées et chiffrées alors que les aspects visant à une plus grande justice fiscale étaient très flous. Or on sait que dans ce genre de négociations, il y a toujours des idées qui ne sont finalement pas retenues. On craint que les idées les plus floues soient abandonnées.

Qu’est-ce qui, dans la note du formateur, heurte les syndicats ?

Par exemple, l’idée de baisser la norme de croissance des soins de santé de 4,5 % à 2 %. C’est inacceptable. Et contraire à tout ce qu’on nous raconte sur le coût du vieillissement. Il y a aussi l’option de réduire l’enveloppe financière destinée à la revalorisation de certaines allocations sociales. On oublie que c’était une contrepartie au Pacte des générations.

A propos de Pacte de générations, il est question d’encore réduire l’accès aux prépensions…

J’ai entendu Didier Reynders à la radio. Il veut supprimer les prépensions. Cela n’a aucun sens. Seulement 2,7 % des demandeurs d’emploi de plus de 49 ans trouvent un travail. Les entreprises n’embauchent plus les personnes de plus de 50 ans. Qu’est-ce qu’on va faire de ces personnes-là ? On va les mettre au chômage ? C’est aberrant : cela coûte plus cher à la collectivité. Et ce n’est pas cela qui va faire une grande différence. Les prépensions, cela représente à peine 3 % de la population active.

Si le programme gouvernemental ne vous satisfait pas, que ferez-vous ?

La FGTB examinera de près le programme du prochain gouvernement. Et nous l’examinerons sous l’angle de la solidarité. En tant qu’organisation syndicale, nous prendrons nos responsabilités. Nous l’avons toujours fait.

Au fond, ne préfériez-vous pas que cette négociation échoue ?

Non. Nous sommes pour un gouvernement. Mais pas pour faire n’importe quoi. L’austérité amène parfois des résultats à court terme. Mais au bout du compte, c’est néfaste. Cela rend tout le monde plus pauvre. Il y a assez d’alternatives à l’austérité. Les recettes de la droite ont montré leur limite. Regardez les pays autour de nous. Mais qu’est-ce qu’on attend pour changer de cap ? C’est vraiment une question de bon sens.


L’Europe se traîneLa FGTB attend beaucoup de l’Europe pour pouvoir changer les politiques fiscales. "La Belgique n’est pas une île, concède Anne Demelenne. Il faut une meilleure coordination européenne. J’entends avec intérêt que Nicolas Sarkozy et Angela Merkel songent harmoniser leur impôt des sociétés. Ils parlent aussi de taxer les transactions financières. Je suis content de constater que nos idées sont reprises en haut lieu. Mais quand va-t-on passer à l’action ? La droite conservatrice est responsable de l’immobilisme. Et cela peut avoir des conséquences. Après la crise de 2008, tout le monde disait qu’il fallait des banques plus petites, avec d’un côté des banques d’épargne et d’autres, des banques d’affaires. C’est tout le contraire qu’on est en train de faire. Ce sont des fusions de groupe qui ont eu lieu. Prenez la BNP Paribas Fortis."

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