Délinquants sexuels : 8 % de récidive

Le cliché, tenace, rebondit à chaque fait divers dramatique et enferme les délinquants sexuels dans une case : ne sont-ils pas tous les mêmes, des pervers chroniques et irrécupérables, prêts à recommencer à la prochaine occasion ?

Annick Hovine
Délinquants sexuels : 8 % de récidive
©OLIVIER PIRARD

Le cliché, tenace, rebondit à chaque fait divers dramatique et enferme les délinquants sexuels dans une case : ne sont-ils pas tous les mêmes, des pervers chroniques et irrécupérables, prêts à recommencer à la prochaine occasion ? Une étude menée par le Centre de recherche en défense sociale (CRDS) et l’Unité de psychopathologie légale (UPPL) tente d’objectiver la question, lancinante, de la récidive des pédophiles et autres violeurs pris en charge en Région wallonne. Ces deux centres, nés dans le sillage de l’affaire Dutroux, s’intéressent aux auteurs d’infractions à caractère sexuel (AICS) et à leur réhabilitation, "C’était une perception empirique : on avait le sentiment que pour les personnes que l’on suivait, le taux de récidive était assez bas. On sentait que quelque chose se passait, qu’il y avait des résultats", expose Michel Martin, président de l’UPPL, situé à Tournai.

Une première phase de recherche, sur le parcours après la prison de délinquants sexuels qui ont eu un contact pour un traitement avec des équipes de santé spécialisées en Région wallonne, permettra de confirmer cette intuition. Les chercheurs ont ainsi suivi, sur une période d’un peu plus de quatre ans, 231 auteurs d’infractions à caractère sexuel libérés en 2001 et 2002. La moitié (49 %) avaient effectué l’intégralité de leur peine ; 43 % étaient en libération conditionnelle et 8 % bénéficiaient d’un sursis.

Résultats de cette étude - la première du genre en Belgique : les chiffres montrent que 7,9 % de ces délinquants sexuels (un sur douze) ont écopé d’une condamnation pour une nouvelle infraction à caractère sexuel commise endéans les quatre ans après leur sortie de prison. En prenant les données à l’envers, on peut donc dire que 92 % d’entre eux n’ont pas récidivé...

Si on catégorise les auteurs d’infractions sexuelles en fonction de l’âge de la victime, les violeurs qui s’en sont déjà pris à des majeurs et à des mineurs récidivent plus rapidement sur le mode sexuel (15,6 %) que ceux qui ont abusé uniquement d’enfants (7,4 %) ou seulement d’adultes (4,1 %), révèle l’étude.

Dans la cohorte examinée, 17 auteurs (sur 231 ; soit 7,3 % du total) ont abusé d’enfants qui n’appartenaient pas à leur cercle familial : près d’un quart d’entre eux (23,5 %) sont repassés à l’acte sexuel après leur sortie de prison. Par comparaison, sur les 99 pédophiles (43 % du total des AICS suivis) qui avaient un lien de parenté avec la victime mineure, on a enregistré 5,1 % de récidive officielle (ou connue).

Il apparaît en tout cas que le taux de récidive des délinquants sexuels qui ont suivi un traitement en Région wallonne (7,9 %) est inférieur aux taux évalués au sein de la littérature internationale, qui avoisinent les 13 %. Ces résultats soutiennent donc l’hypothèse que le système de prise en charge en ambulatoire en Région wallonne contribue favorablement au faible taux de récidive sexuelle.

"Mais on doit approfondir nos données pour expliquer ces différences", tempère Thierry Pham, docteur en psychologie et directeur du Centre de recherche en défense sociale.

D’où la deuxième phase de la recherche, qui a démarré il y a deux ans, pour évaluer, en continu, la prise en charge et le taux de récidive de 131 délinquants sexuels entrés en traitement en 2009. Trois équipes de santé spécialisées participent à cette recherche-action de type prospectif à travers la mise en place d’un instrument d’évaluation couvrant plusieurs domaines : le type de délit commis ; le niveau de risque de récidive de l’intéressé au moment de sa libération ; le type de libération ; le suivi au sein d’une ou plusieurs équipes de santé spécialisées; les diagnostics psychiatriques ; l’environnement social du délinquant Soit autant de dimensions connues comme étant prédictives de potentiel risque de récidive.

A travers ce projet d’évaluation en continu - une première en Europe francophone -, la Région wallonne se dote d’un moyen efficace supplémentaire pour structurer et améliorer progressivement la prise en charge des auteurs d’infractions à caractère sexuel, se réjouit Eliane Tillieux (PS), ministre wallonne en charge de la Santé. "Il s’agira notamment d’analyser l’impact du dosage des séances sur la récidive, d’évaluer les programmes et les différents types d’intervention thérapeutique", précise Thierry Pham.

L’Etat fédéral et la Région wallonne sont liés par un accord de coopération relatif à la guidance et au traitement d’auteurs d’infractions à caractère sexuel. Il existe actuellement en Wallonie onze équipes de santé mentale spécialisées dans l’accompagnement des délinquants sexuels. Elles comptent 57 % de psychologues ; 17 % de médecins psychiatres ; 17 % d’assistants sociaux ; 6 % de criminologues et 3 % d’ergothérapeutes ou sexologues. Elles suivent, en moyenne, plus d’un millier de délinquants sexuels en Région wallonne.

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