Audit d’un désastre annoncé à la tête du logement social
La Société wallonne du logement (SWL), qui chapeaute le sensible secteur du logement social, vient de faire l’objet d’un audit interne et externe antifraude. "La Libre" a pu se procurer le projet de rapport final remis par la direction de l’audit de la SWL.
- Publié le 17-12-2011 à 04h16
- Mis à jour le 17-12-2011 à 11h47
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La Société wallonne du logement (SWL), qui chapeaute le sensible secteur du logement social, vient de faire l’objet d’un audit interne et externe antifraude. "La Libre" a pu se procurer le projet de rapport final remis par la direction de l’audit de la SWL. Les pratiques qui y sont dévoilées pour 2010 et 2011 sont confirmées par l’audit externe réalisé par le consultant Ernst&Young. Ces pièces sont ultra-confidentielles, c’est compréhensible : les conclusions sont gravissimes. La direction transversale en charge des "services généraux" (l’ensemble de la SWL est donc impliqué) est dans le collimateur. En résumé, l’absence de contrôle dans l’attribution des marchés publics ou le remboursement de frais personnels (GSM, cartes essence ), fait craindre des situations d’abus sociaux, de collusion, de violation des règles de la concurrence, de mise en cause de la responsabilité civile, voire pénale, des administrateurs de la SWL
Par ailleurs, il est probable que les carences de gestion dénoncées par le rapport sont plus importantes encore que ce qui va suivre. En effet, la direction de l’audit déplore une rétention d’informations qui l’a empêchée de mener une analyse complète. Encore une circonstance aggravante : les carences dans le contrôle interne avaient déjà été pointées par Deloitte en 2010.
Mais reprenons depuis le début. En octobre dernier, le directeur général de la SWL, Alain Rosenoer, alerte la direction du département audit : il pense qu’il y a eu des irrégularités dans la gestion des "services généraux" et demande qu’une enquête interne soit lancée en urgence et de manière approfondie. Le projet de rapport final de cet audit (doublé du contrôle externe d’Ernst&Young) vient d’être transmis aux membres du conseil d’administration de la SWL qui l’examinera ce lundi. Qu’y trouve-t-on ?
- Gestion du parc automobile. Le rapport d’audit relève qu’il n’y a pas de contrôle de la consommation de carburant des véhicules de fonction de la SWL. "Chaque utilisateur peut renseigner le kilométrage au moment de faire le plein mais il n’y a pas d’obligation de le faire. Malgré l’existence de cartes de carburant individuelles, certains achats de carburant sont effectués par Bancontact ou en espèces sans précision du véhicule "approvisionné." Toujours en ce qui concerne les véhicules de fonction, la direction de l’audit constate que le parc automobile de la SWL n’est pas réellement géré. "Cette lacune ne permet pas de s’assurer que toutes les dispositions sont prises en matière de véhicules de fonction : calcul de l’avantage, modalités à respecter en cas de déclassement-revente, etc. Malgré une demande en ce sens, les auditeurs n’ont pas eu accès aux informations concernant le calcul des avantages en nature."
- Gestion de la masse d’habillement. Première carence : la SWL a remboursé ces frais à des agents non repris dans les catégories de personnel autorisées à engager ce type de dépenses. En outre, les articles achetés ne sont pas toujours ceux auxquels on peut s’attendre dans un cadre professionnel "Achats de vêtements sportifs, vêtements d’enfants, maillots, etc." Par ailleurs, des frais d’habillement ont été remboursés sur la base de pièces justificatives non probantes. Et, parfois, sans le visa du responsable du contrôle et des paiements.
- Gestion des GSM de fonction. Le rapport d’audit est éloquent : "Il n’existe pas d’inventaires des GSM. Il est impossible d’en assurer le suivi. Il n’y a pas de contrôle des montants payés ni de suivi des appels par appareil." Par ailleurs, les budgets alloués par GSM (de 150 € à 250 €) sont régulièrement dépassés avec des montants de plus de 350 €. De même, certaines attributions de GSM font l’objet d’une décision du comité de direction de la SWL mais les auditeurs n’ont pas pu avoir accès aux procès-verbaux du comité de direction
- Gestion de la cuisine - boissons. "Le contrôle d’accès au stock des boissons alcoolisées présente des lacunes. Les entrées et sorties de boissons ne font pas l’objet d’un contrôle systématique." Remarquons aussi que les vins achetés pour alimenter la cave à vin (!) ne font pas l’objet d’une commande groupée ou d’une mise en concurrence.
- Marchés publics. Voilà la pièce de résistance "Il apparaît que des commandes à certains fournisseurs n’ont pas fait l’objet de mise en concurrence ou, lorsque celle-ci a été réalisée, elle est caduque ou précaire." Le rapport cite de nombreux exemples. Pour les commandes aux brasseurs (aucun document qui démontre la mise en concurrence) ; aux traiteurs (aucune décision d’attribution fournie pour 2010, notamment) ; pour les commandes de véhicules de fonction (aucune preuve de mise en concurrence) La liste est bien trop longue pour pouvoir être intégralement publiée ici. En général, il n’y a pas de globalisation des commandes (d’où un surcoût).
- Délégations de signature. Des dépenses supérieures à 500 euros ont été engagées par la directrice responsable ou, en son absence, par son assistant alors que les règles stipulent qu’il faut une double signature (avec le directeur général ou l’inspecteur général en charge de la comptabilité). En outre, il n’y a pas de contrôle a posteriori de ces dépenses. Le risque de dérapage est tout simplement énorme. D’ailleurs, les exemples de dépenses décidées unilatéralement ne manquent pas : un écran LCD (799 €) ; le montage des pneus hiver sur les véhicules des inspecteurs généraux (1 620 €) ; achat d’un ordinateur portable pour Alain Rosenoer (1 420 €) ; cadeau de fin d’année des membres du conseil d’administration (628 €)
Enfin, des problèmes similaires à tout ce qui précède sont pointés du doigt par les auditeurs en ce qui concerne la gestion de la bibliothèque (factures étonnement élevées, dont une de 30000 € pour Kluwer), la gestion des fournitures (certains puisent allégrement dans les stocks sans traçabilité) ; la gestion de la réservation des voyages (manque de contrôle sur les forfaits octroyés pour les missions à l’étranger)
Tiens, que pense Alain Rosenoer de cet audit interne qu’il avait commandé ? Bizarrement, la note du patron de la SWL au conseil d’administration, présentant le rapport, montre qu’il a une autre lecture des faits. Le DG y déplore un manque de débat contradictoire en ce qui le concerne et regrette que l’audit pointe un dysfonctionnement de toute la SWL (ce qui le met en cause). Il "charge" la directrice des services généraux : "Si l’audit interne avait scruté l’ensemble des éléments du dossier [ ], il n’aurait pas manqué de constater que les services généraux ont offert un cadeau à un fournisseur (en 2009), cumulant pour cette même année pour 19 000 € de commandes SWL sans qu’aucune procédure de mise en concurrence n’ait été respectée." Le procureur du Roi a été saisi de ce point. Alain Rosenoer s’étonne aussi de la relative clémence de la direction de l’audit vis-à-vis de la responsable des services généraux. Son rapport minimise, voire passe sous silence, "l’existence de négligences graves dans le chef d’une directrice qui, sciemment, a décidé de contourner ou d’ignorer les règles de fonctionnement interne".