Les débuts tardifs et hésitants de Guy Spitaels

La seule biographie de Guy Spitaels ("Guy Spitaels, au-delà du pouvoir", Editons Renaissance du Livre, Luc Pire) a été publiée en 2005 par Jean-François Furnémont, également auteur d’un ouvrage sur Jean Gol. Il nous livre son analyse sur la carrière exceptionnelle de l’ancien président du PS, décédé dans la nuit de lundi à mardi.

Francis Van de Woestyne

Entretien La seule biographie de Guy Spitaels ("Guy Spitaels, au-delà du pouvoir", Editons Renaissance du Livre, Luc Pire) a été publiée en 2005 par Jean-François Furnémont, également auteur d’un ouvrage sur Jean Gol. Il nous livre son analyse sur la carrière exceptionnelle de l’ancien président du PS, décédé dans la nuit de lundi à mardi.

La politique, ce n’était pas, au départ, une vocation pour Guy Spitaels…

Jusqu’à la quarantaine, rien ne le prédestinait à la carrière politique. Arrivé à un âge où, aujourd’hui, il vaut mieux avoir déjà été ministre si l’on veut faire carrière en politique (Voyez Jean-Michel Javaux, Charles Michel, Benoît Lutgen, Alexander De Croo, Wouter Beke, Bruno Tobback, ), celui qui a amené le plus grand parti politique francophone au plus grand succès électoral de son histoire n’était en effet ni politique, ni même militant. Jusqu’à 41 ans, il menait une carrière strictement académique. Alors que Guy Spitaels est sans doute l’homme qui a le plus marqué la vie politique belge francophone depuis l’après-guerre, son engagement a été très tardif et il a même été hésitant.

Hésitant… ?

Effectivement, il ne s’est pas lancé dans la politique de sa propre initiative. Et au début, il n’y a pas pris goût. Sa première expérience politique dans un cabinet ministériel (chez Louis Major, ministre socialiste flamand) ne lui avait pas beaucoup plu. Ce n’était pas très concluant. Il a fallu beaucoup d’insistance pour qu’il se lance vraiment et qu’il accepte, par la suite, la fonction de chef de cabinet d’un Premier ministre, Edmond Leburton.

Il n’avait donc pas de plan de carrière ?

Non, effectivement et il avait même une certaine appréhension. Mais dès qu’il a fait ce choix-là, celui de la carrière politique, il s’est véritablement et complètement lancé. Il n’a plus dévié de sa route et il s’est imposé dans les choix logiques, réfléchis, assumés qu’il a posés par la suite : il sera sénateur en 74, ministre en 77. Dès que le PS reviendra au pouvoir, il sera vice-Premier ministre dans les gouvernements suivants (jusqu’à Martens IV). Quand la place de président du PS sera disponible, il choisira de s’y présenter. Avec cette merveilleuse formule qui résume tous les cours de politique en Belgique : " J’étais au gouvernement mais je n’étais pas au pouvoir ."

C’est donc bien un homme de pouvoir…

Oui, bien sûr, mais avec cette contradiction. C’est dans la période où il ne sera pas au pouvoir (81-87 pendant le gouvernement Martens-Gol) que l’on pourra constater l’exercice de ses plus grandes qualités de stratège.

En maintenant ses fameux deux fers au feu : le communautaire et le socio-économique

Effectivement : dès qu’il est arrivé à la présidence du PS, il s’est fixé une ligne et n’en déviera plus jamais : le communautaire - avec l’arrivée de José Happart - et le socio-économique. C’est cette tenaille qui, in fine, fera exploser le gouvernement Martens-Gol. Si ce gouvernement a fini par tomber, c’est parce qu’il sera pourri de l’intérieur. Gérard Deprez, président du PSC, s’était rendu compte qu’il ne pouvait plus poursuivre cette expérience avec les libéraux flamands (Guy Verhofstadt était à l’époque très dur, bien différent de ce qu’il est aujourd’hui) et qu’il devait renouer avec d’autres propositions économiques, celles que défendait, en partie, le PS de Guy Spitaels.

En 1987, le PS atteint 44 %. Guy Spitaels n’entre pas au gouvernement ? Mais en fait, il en tirera toutes les ficelles…

Il avait déjà été vice-Premier ministre entre 78 et 81. Il n’avait plus rien à prouver. Pourquoi recommencer ? Au PS, il pouvait avoir une vue globale et tout diriger. Car il était effectivement le vrai patron du gouvernement Martens-Moureaux. On devine déjà aussi, l’étape suivante, à savoir sa descente au gouvernement wallon.

A cette époque, son pouvoir est gigantesque. Il en fait la démonstration au cours d’une réception impériale à l’Autoworld. Le signe d’un orgueil déplacé, d’une déconnexion avec le réel ?

Toutes les personnes que j’ai interrogées pour réaliser mon livre m’ont parlé de cette réception. Cela a marqué les esprits. C’est un des événements les plus marquants de sa carrière. Certains ont dit que c’était la manifestation de puissance "de trop" et que l’on était face à un personnage qui était déconnecté du réel. Je ne le crois pas. C’était un acte très clair d’autorité qui avait un sens politique.

Lequel ?

Il voulait dire ceci : le PS est revenu au pouvoir après la plus longue période d’opposition qu’il ait connu et après une éclatante victoire électorale, 44 %. Et désormais, le PS entend se faire respecter, le pouvoir doit s’exercer avec le PS. C’était un message à l’égard de la Flandre et particulièrement à l’égard du CVP. Il faut rappeler son sentiment de frustration lorsqu’il était chef de cabinet d’Edmond Leburton : il avait eu le sentiment d’être méprisé par les Flamands. L’autre message était : le PS est au pouvoir et il va y rester. Il faut bien constater que la démonstration a dépassé ses espérances : qui aurait pu imaginer que, depuis cette démonstration de puissance, que le PS ne quitterait aucun gouvernement ni fédéral, ni régional, ni communautaire...?

Vint ensuite son auto proclamation au gouvernement wallon. Elle était dans l’air…

Assurément. Dès le début de son engagement, il s’était décrit comme socialiste et wallon. Tout au long de son parcours politique, il deviendra plus socialiste et plus wallon. Il disait que le parcours d’un homme politique s’écrit souvent de gauche à droite alors que le sien s’est écrit de droite à gauche Sa conviction wallonne s’est aussi renforcée au fil des ans et cela depuis sa première prise de conscience politique lors des grandes grèves de 60. Souvenez-vous aussi du slogan de la campagne du PS en 1981 : ce sera dur mais les Wallons s’en sortiront ...

Un slogan toujours très actuel...

En effet. Et lors d’un débat en 1981 avec Léo Tindemans, il s’était déjà demandé s’il ne serait pas préférable que "chacun soit maître chez soi". Le fait régional est inscrit chez lui depuis longtemps.

Il n’a pas été aisé d’évoquer, avec lui, les affaires Agusta-Dassault et son inculpation… Pourquoi refusait-il d’en parler ?

Il avait dressé un mur. C’est la seule difficulté que j’ai eue avec lui dans la réalisation de ma biographie. Il ne comprenait pas que je consacre un chapitre à cet épisode-là. J’ai dû faire preuve de patience et de conviction pour imposer l’idée. Il a fini par comprendre mon approche, mais il n’a jamais voulu m’en parler.

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