Libération conditionnelle: "le gouvernement bricole"
Marie-Françoise Berrendorf est conseiller général au sein de la Direction des établissements pénitentiaires. Nous lui avons demandé de réagir à l’accord qui durcit les conditions d’accès à la libération conditionnelle pour les détenus ayant commis des faits particulièrement graves.
Publié le 11-09-2012 à 04h15 - Mis à jour le 11-09-2012 à 11h33
:focal(115x85:125x75)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/3RQA4I2NFRHT3K2GICXYDXGEPI.jpg)
Marie-Françoise Berrendorf est conseiller général au sein de la Direction des établissements pénitentiaires.
Nous lui avons demandé de réagir à l’accord conclu à la fin de la semaine passée en comité ministériel restreint, accord qui durcit les conditions d’accès à la libération conditionnelle pour les détenus ayant commis des faits particulièrement graves leur ayant valu des condamnations à 30 ans de réclusion criminelle ou davantage.
Mme Berrendorf a accepté de sortir de sa réserve de fonctionnaire car elle estime qu’il n’est pas souhaitable que l’administration pénitentiaire demeure silencieuse à propos d’un dossier aussi important et aussi sensible.
Elle se montre extrêmement critique à propos des mesures décidées au sein du "kern" de jeudi. Elle estime, notamment, que le gouvernement met à mal le principe de la séparation des pouvoirs quand il donne à un directeur de prison ou au ministère public le droit de déclarer irrecevable une demande de libération conditionnelle introduite par un condamné.
"La loi sur le statut externe des détenus a prévu l’automaticité de l’examen d’une éventuelle libération dès la date d’admissibilité du détenu à cette mesure. Si elle l’a fait, c’était pour éviter que certains condamnés, mal informés de leurs droits, mal défendus, soient purement et simplement ‘oubliés’. Voici que, dans certains cas, on va imposer une démarche volontaire au condamné. Je ne vois pas l’intérêt d’une telle dérogation", commente Mme Berrendorf.
Qui ajoute : "Surtout, il me semble abusif et dangereux de confier au directeur de la prison ou au ministère public le soin de décider de la recevabilité de la demande, alors qu’il devrait s’agir d’une prérogative du juge du fond. Que le ministère public dispose du pouvoir de décider de l’opportunité des poursuites, soit. Qu’il puisse donner son avis au tribunal de l’application des peines, pas d’objection. Mais qu’il ait le droit de décider de la recevabilité de la demande, cela ne va pas. Idem pour un directeur de prison. Inutile de vous dire à quelles pressions celui de la prison de Berkendael, où se trouvait Michelle Martin, a été soumis quand il s’est agi pour lui de rendre un avis. Si demain on lui donne le droit d’arrêter purement et simplement la procédure, je n’ose imaginer ce qui se produira."
Mme Berrendorf estime, en outre, que les mesures "bricolées" pour les condamnés à de lourdes peines créent des différences injustifiées entre les justiciables, portant ainsi atteinte au principe constitutionnel de l’égalité des citoyens devant la loi.
Elle juge, par ailleurs, que le fait de modifier sans cesse le calcul des peines crée une insécurité juridique grave et une dangereuse imprévisibilité dans l’exécution de ces mêmes peines. La Cour européenne des droits de l’homme vient d’ailleurs de condamner l’Espagne pour un motif de cet ordre, rappelle-t-elle.
Mme Berrendorf insiste aussi sur le fait que l’aggravation des conditions d’accès à l’admissibilité à la libération conditionnelle va à l’encontre de recommandations pressantes d’organismes internationaux, comme l’Onu ou le Conseil de l’Europe (dans lesquels siège la Belgique), qui encouragent la libération conditionnelle.
Les mesures annoncées par le comité ministériel restreint vont peser un peu plus sur la surpopulation carcérale, ajoute Mme Berrendorf, qui s’en prend aussi à la façon dont le gouvernement présente l’absence, en droit pénal belge, de la notion de récivide de crime sur délit.
"Il dit qu’il s’agit d’une lacune alors que le législateur de l’époque a agi en toute connaissance de cause. Il a estimé, en effet, qu’un crime devait être traité de façon singulière. Il est jugé par une cour d’assises, ce qui constitue une première particularité. Lorsque des délits sont perpétrés lors de la commission du crime, ils sont absorbés et on applique la règle du concours. Ce n’est pas anodin. En outre, la cour d’assises tient compte des antécédents de l’accusé lorsqu’elle se prononce sur la peine, lui accordant ou lui refusant des circonstances atténuantes par exemple", déclare, en substance, notre interlocutrice.
Bref, selon Mme Berrendorf, la notion de récidive est une notion trop complexe pour qu’on lui applique un régime "simpliste". "Laissons à la sagesse du juge du fond le soin de trancher. Il dispose, dans le droit pénal actuel, de suffisamment de moyens pour appliquer la bonne peine", conclut-elle.