Des héros "oubliés" parce que Noirs

Les Etats-Unis ont certes depuis 4 ans un Président de couleur mais, pendant plus d’un demi-siècle, le gouvernement de la grande puissance occidentale a souvent oublié et négligé les sacrifices consentis par des centaines des siens qui s’engagèrent pour l’Amérique dans la Seconde Guerre mondiale.

Christian Laporte
Des héros "oubliés" parce que Noirs
©D.R.

Les Etats-Unis ont certes depuis 4 ans un Président de couleur mais, pendant plus d’un demi-siècle, le gouvernement de la grande puissance occidentale a souvent oublié et négligé les sacrifices consentis par des centaines des siens qui s’engagèrent pour l’Amérique dans la Seconde Guerre mondiale. Car de nombreux soldats afro-américains tombèrent au champ d’honneur. Si on en parle dans "La Libre", c’est parce que ce 22 septembre, un hommage sera rendu à onze d’entre eux, massacrés au début de la bataille des Ardennes. Un épisode de guerre qui touche en fait doublement la Belgique

Le 17 décembre 1944, onze soldats noirs américains du 333e Bataillon d’artillerie de campagne étaient torturés et massacrés par des SS commandés par le major Gustaff Knittel. Le bataillon se trouvait à l’est de la rivière l’Our à l’entame de la contre-offensive allemande. Face à l’avance fulgurante de l’ennemi, il fut décidé de détruire le matériel et d’organiser la retraite à pied. Vingt-sept soldats et un médecin parvinrent à se rendre au point de ralliement. Mais 11 soldats afro-américains furent coupés du reste de la troupe. Après s’être perdus dans les bois, ils finirent par rejoindre vers 16 h la ferme Langer à Wereth. Constatant leur état, Maria, la fermière leur prépara à manger. Hélas alors qu’ils étaient à table, les SS débarquèrent dans la ferme. Emmenés par les Allemands, ils furent forcés de courir devant leur voiture puis éloignés sur un sentier à l’écart de la route où ils furent sauvagement massacrés. En raison des combats et de la neige, leurs corps, horriblement mutilés, notamment après qu’ils eurent été abattus, ne furent retrouvés qu’en février 1945.

Après la guerre, l’oubli s’installa mais pas dans la mémoire du plus jeune fils de la ferme, Herman, alors âgé de 12 ans. Cinquante ans après les faits, avec sa famille, il fit ériger une simple croix à l’endroit mais en 2002, une ASBL vit le jour. Elle acheta le terrain et y implanta un mémorial en l’honneur des onze de Wereth mais aussi de tous les Afro-Américains morts en héros en 40-45. Depuis 2004, un monument leur a été dédié et Wereth est une escale sur la route de la bataille des Ardennes. Fait inouï : ce monument est toujours le seul du genre en Europe.

La nouvelle a cependant fini par franchir l’Atlantique et c’est ici qu’intervient encore la Belgique. Christian de Marcken, malgré un nom bien belge, est pourtant né Américain. Son père, Gustave R. de Marcken, fut en fait le seul citoyen américain condamné à être exécuté au Tir national à Schaerbeek pour avoir aidé des aviateurs US à s’échapper de Belgique en août 1944. Mais il échappa à la déportation grâce à la Résistance, qui arrêta ce qu’on a appelé le "train fantôme" à quelques heures de la libération du pays, avant son départ pour le Reich.

En avril 1955, son fils Christian, soldat US en Europe, avait épousé Jeanne Moncheur de Rieudotte dont l’oncle était l’ambassadeur belge à Washington pendant la Première Guerre. Ce couple aux racines à la fois belges et américaines a dépensé beaucoup d’énergie à corriger l’histoire américaine. "Nous avons voulu faire connaître le plus largement l’horrible tuerie de Wereth", explique Christian de Marcken depuis les Etats-Unis. "Car elle fut malheureusement et honteusement gardee secrète par notre gouvernement pendant plus de 50 ans. C’est une citoyenne de Gouvy, Mme Ada Rikken-Schmit qui nous a téléphoné pour nous demander de faire en sorte que cette page d’histoire soit enfin connue aux Etats-Unis. Cela pour compléter en quelque sorte l’action admirable d’Herman, le plus jeune fils de Mathias et Maria Langer, qui a permis l’érection du monument en Belgique."

L’exemple de Langer inspira les Marcken qui, après des années de recherches notamment aux Archives de Washington, firent ériger à leur tour un monument aux Etats-Unis, le seul aussi des States (!) au cimetière militaire de Winchendon dans le Massachusetts. Lors de son inauguration, le 20 août 2006, le general Danny Van de Ven (Force aérienne), alors attaché militaire belge à Washington, avait fait un très émouvant discours devant plus de 350 vétérans et leurs familles, qui ont participé à la cérémonie. Mais chaque année, une cérémonie se déroule aussi à Wereth. La prochaine sera exceptionnelle. "Nous avons en effet aidé Miss Elsie L. Pritchett, la fille de William Pritchett, un des onze soldats massacrés, à aller a Wereth pour participer a la cérémonie. Ce sera la première fois qu’un enfant des onze soldats y prendra part. Cela nous a pris des mois pour trouver Elsie, qui nous avait fait l’honneur de venir dévoiler notre monument à Winchendon le 20 Aout 2006." Christian et Jeanne de Marcken regrettent de ne pouvoir l’accompagner mais la solidarité se poursuit : Elsie Pritchett sera reçue avec tous les honneurs par le Remember 39-45 Museum de Clermont (près du cimetière américain d’ Henri-Chapelle)

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