Des gamins devant la justice des adultes ? "Inefficace !"
"Comment dire aux gens qu’un jeune qui va être dessaisi deviendra plus dangereux ? Il faut que les gens se sentent concernés. Dès que cela va toucher à leur sécurité, ils vont réfléchir, sinon, ils s’en foutent !"
Publié le 20-11-2012 à 06h01 - Mis à jour le 20-11-2012 à 06h32
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Comment dire aux gens qu’un jeune qui va être dessaisi deviendra plus dangereux ? Il faut que les gens se sentent concernés. Dès que cela va toucher à leur sécurité, ils vont réfléchir, sinon, ils s’en foutent ! Il faut qu’ils réalisent que ça risque d’être pire, que ça nous aide pas et qu’à cause des conditions de détention en prison, les gens qui purgent là-bas, en sortant, ils sont pires que des animaux. [ ] Il ne faut pas juste dire que le gars est enfermé avec un seau de merde car les gens vont se dire que c’est bien fait pour sa gueule parce qu’il a volé. Il faut que les gens se disent que le gars a passé des mois avec un seau de merde et que quand il va sortir, il risque de venir cambrioler chez eux."
Du haut de ses 17 ans, Maxime a déjà tout compris. L’adolescent sait de quoi il parle. Détenu préventivement dans la section des dessaisis du Centre fédéral fermé de Saint-Hubert, il y attend son procès. A la suite d’un fait considéré comme grave, ce gamin qui n’avait jusqu’alors reçu qu’une amende et une réprimande dans le système protectionnel, est placé pour 15 mois dans une Institution publique de protection de la jeunesse (IPPJ) en régime fermé. Avant d’être transféré à la prison pour jeunes de Saint-Hubert.
L’an dernier, comme lui, 96 mineurs âgés de 16 à 18 ans ont été renvoyés vers la justice des adultes, après qu’un juge de la jeunesse a estimé qu’il n’avait pas d’autre solution. Mais qui sont ces jeunes devenus des numéros d’écrou ? Et quel est leur avenir ? Le Délégué général aux droits de l’enfant a voulu humaniser la question du dessaisissement des mineurs, souvent traitée sous un angle juridique ou politique. Bernard De Vos est ainsi parti à la rencontre de 13 jeunes, dont "les courtes vies, tragiques et compromises" se terrent dans des cellules austères et froides. Il a recueilli leurs récits, exprimés dans leurs propres mots et centré son rapport annuel sur ces mineurs qu’on "met aux oubliettes", comme dit Mohamed, 21 ans, incarcéré depuis 3 ans dans une "vraie" prison.
Au moment où se discute le transfert de compétences du fédéral vers les Communautés en matière de délinquance des jeunes, l’"avocat des enfants" de la Communauté française espère que son rapport retiendra l’attention des décideurs francophones. Même si ce que ces derniers y liront risque de ne pas leur plaire en ces temps de tours de vis sécuritaires.
Le Délégué général dresse en effet un réquisitoire sans appel : vu "l’inanité de la procédure", il recommande carrément la suppression de ce système qui permet à un juge de la jeunesse de se dessaisir d’un mineur âgé d’au moins 16 ans s’il a tenté, au préalable et en vain, d’autres mesures (suivi en famille, travaux d’intérêt général, placement...). Ou si le jeune comparaît pour la première fois pour un fait grave : (tentative de) viol, meurtre, assassinat, parricide, coups et blessures ayant entraîné la mort sans intention de la donner, vols avec violence ou menaces...
Depuis la réforme de 2006 de la loi de protection de la jeunesse (datant de 1965), les mineurs dessaisis sont renvoyés devant une chambre spécifique du tribunal de la jeunesse (composée de trois magistrats, dont deux doivent avoir suivi une formation en jeunesse) - mais c’est le Code pénal des adultes qui leur est appliqué. Dans les couloirs du palais de justice de Bruxelles, on appelle cette 22e chambre "le tribunal des enfants de chœur"...
Si le principe du dessaisissement se base sur un constat d’inadéquation des mesures protectionnelles, le Délégué général aux droits de l’enfant constate que "le système pénal vers lequel sont renvoyés les mineurs d’âge est loin de se révéler plus adéquat". Au contraire. Loin de garantir des opportunités de réinsertion ou d’amélioration de leur profil général, ce système laisse des jeunes particulièrement démunis, sans formation, sans emploi, sans domicile. "Mais avec un casier judiciaire". D’autant que, "constat cynique et affligeant", la majeure partie de ces jeunes comptent parmi les plus démunis de la société, qui cumulent handicaps sociaux, économiques et culturels, relève encore Bernard De Vos.
Les témoignages recueillis, édifiants, montrent que la réforme de 2006, censée rendre la mesure de dessaisissement plus humaine, se révèle impuissante. Pire : les conditions d’incarcération à Saint-Hubert s’avèrent plus sévères que dans une prison. Sans compter que les jeunes dessaisis obtiennent (encore plus) difficilement l’accès aux permissions de sortie, aux congés pénitentiaires ou à une libération conditionnelle.
En plus d’être contraire à l’intérêt supérieur des jeunes, le principe de dessaisissement ne sert pas l’intérêt de la société. C’est d’ailleurs exactement l’inverse, appuie le Délégué général aux droits de l’enfant : "Les stratégies de prévention et de protection sont non seulement plus dignes mais aussi plus efficaces pour faire diminuer la délinquance et la criminalité". Y aura-t-il un écho politique à ce rapport ?