"Vive la surpopulation carcérale"
"Je pense que la surpopulation permet au système de fonctionner selon sa logique propre, première, répressive sans se laisser interroger, bousculer par les logiques douces, humanisantes, socialisantes." Le directeur de la prison de Forest a fait sensation.
Publié le 25-01-2013 à 04h15 - Mis à jour le 25-01-2013 à 09h10
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Parmi les intervenants à un récent colloque consacré à la surpopulation carcérale, Vincent Spronck, le directeur de la prison (maison d’arrêt) de Forest a fait sensation.
Auteur d’un discours délibérément provocateur, le courageux fonctionnaire a mis le doigt là où cela fait mal. Selon lui, la surpopulation arrange tout le monde et répond à quatre fonctions "très utiles car elles permettent aux différents acteurs de ce système chaotique dont je fais partie de fonctionner" .
"Si nous prenions , écrit-il, l’exacte mesure du drame que peut être pour un détenu de vivre à trois, 23 heures sur 24, dans une cellule insalubre de 9 m² et d’être soumis à un règlement peu compréhensible, nous ne pourrions écrouer comme nous le faisons [ ], les magistrats ne pourraient plus travailler de manière indépendante de certaines contingences, l’écrou ne serait plus cette banale opération administrative routinière [ ]. Si l’on décidait que la surpopulation était inacceptable, le système serait mis gravement à mal. Notre acceptation de la surpopulation permet que nous puissions fonctionner comme il nous l’est demandé."
Un cache-sexe
M. Spronck relève par ailleurs qu’en raison de la surpopulation les condamnés à une peine de moins de trois ans ne vont plus en prison. "Ce système fonctionne à plein et permet de limiter les dégâts. Cela nous permet à nous, membres de l’administration pénitentiaire, de trouver une solution rapide et qui nous convient" , écrit M. Spronck. En quelque sorte, le trop plein d’incarcération "permet de libérer et donc de continuer à enfermer". "Ainsi , conclut le directeur, le cycle infernal ne s’arrête pas."
A ses yeux, la surpopulation (et c’est sa troisième fonction) constitue "un magnifique cache-sexe qui permet de ne pas déconstruire les causes réelles de l’échec des prisons" . "Il est clair , écrit-il, que la surpopulation accroît la violence mais l’absence de la surpopulation ne supprimera pas cette violence [ ] L’incarcération est avant tout une peine et une peine est violente, elle est là pour faire mal. C’est la vieille fonction de la prison toujours vivace mais qu’il nous est parfois insupportable de voir. Et dès lors, la surpopulation permet de tourner nos regards vers ailleurs."
Quatrième fonction, scande M. Spronck : "La surpopulation permet de gérer la prison. On est tous occupés à assurer les missions d’intendance de base (douche, visites, préau, cantine, repas) sans devoir se fatiguer à faire des choses qui ne rejoignent pas la logique répressive : assurer les services sociaux, les cultes, les cours, laisser les détenus aller se défendre au palais de justice. Quand on décrit la situation cruciale, tout le monde comprend et laisse Forest en paix. Il y a donc finalement un certain confort à travailler dans un contexte de surpopulation, une fois qu’on y est un peu habitué. Ainsi, je pense que la surpopulation permet au système de fonctionner selon sa logique propre, première, répressive sans se laisser interroger, bousculer par les logiques douces, humanisantes, socialisantes."
Le constat est terrible. Il n’empêche pas M. Spronck de lancer des propositions : selon lui, la non-exécution des six derniers mois de la peine permettrait de faire baisser le chiffre des détenus. Le fait d’octroyer les congés pénitentiaires favoriserait une libération anticipée. "Il suffirait, indique-t-il, d’appliquer la loi sans demander des analyses démesurées pour des décisions peu risquées."
Il siérait aussi, ajoute-t-il, de déclarer un moratoire voire une interdiction de construction de nouvelles prisons. En cas de besoin, il s’agirait de construire des établissements de très basse sécurité, desquels on pourrait sortir tous les jours sur la base d’un programme. Parallèlement, il faudrait "désécuriser" une série d’établissements, propose-t-il. Selon lui, l’immense majorité des détenus n’ont pas besoin d’une infrastructure aussi "serrée" que celle existante, la véritable sécurité n’étant pas dans l’infrastructure ou la technologie mais dans la qualité des contacts humains.
Enfin, il suggère de construire un réseau de soins psychiatriques qui permette de vider les "honteuses" annexes psychiatriques où sont parqués des internés pendant des années.
Il faut, conclut-il, associer à la prochaine réflexion les présidents des CPAS, d’Actiris, etc. "Si on nous laisse, nous, système de l’administration de la justice pénale nous occuper de la surpopulation comme on le fait depuis tant d’années, nous n’y arriverons pas."
A méditer.