Sarkozy fait de Reynders un "légionnaire"

Il est onze heures, le soleil illumine la Salle des glaces du Palais d’Egmont, ce palais utilisé par les Affaires étrangères pour les toutes grandes occasions. C’en est une pour les libéraux.

V.d.W.

Ambiance Il est onze heures, le soleil illumine la Salle des glaces du Palais d’Egmont, ce palais utilisé par les Affaires étrangères pour les toutes grandes occasions. C’en est une pour les libéraux.

Sur l’estrade trône un chevalet sur lequel est posé un diplôme et, juste à côté, sur un coussin rouge, un collier auquel est suspendue la Légion d’honneur. Bientôt, elle ornera le cou de Didier Reynders.

Petit à petit, les invités arrivent. Ils ont gravi les escaliers, majestueux, copie exacte de l’escalier des Ambassadeurs qui ornait autrefois le château de Versailles. Ils sont venus, ils sont tous là. De Liège, du Hainaut, du Luxembourg, de Namur, du Brabant wallon, de Bruxelles. Impossible d’en faire l’inventaire. Sobrement, Antoinette Spaak, toujours élégante, toujours affable, salue les invités. Louis Michel se faufile, modeste, lui qui arbore déjà à la boutonnière la Légion d’honneur que lui a remise en 2002 son ami Jacques Chirac. La cérémonie, à l’Elysée, avait été d’une grande sobriété. Aujourd’hui, c’est plus "bling bling". Les libéraux flamands sont peu représentés : Patrick Dewael arrivera in extremis. Il n’y a que des libéraux : aucun ministre d’un autre parti n’a été prié. Certains s’en étonnent. Voilà : la fête est libérale.

Il y a les proches aussi : Mme Reynders, ses enfants, le frère de Didier Reynders, des amis. Le monde afflue. Les CEO, les administrateurs de ceci et de cela, sont là. Les grands patrons se saluent. De très grands patrons (Bellens, Buysse, Bentegeat, Delusinne). Le plus grand d’entre eux, le plus discret, le plus attendu arrive : Albert Frère, 87 ans, détendu, charmant. On l’entoure, on le salue, on le complimente. L’illustre industriel rejoint au premier rang la princesse Léa, la veuve du prince Alexandre, Armand de Decker et son épouse. Privilège : Albert Frère est autant l’ami du décoré, Didier Reynders, que de celui qui remettra la décoration.

L’Impétueux

On parle, du temps, du budget, du photovoltaïque, de la prestation de Catherine Nay, journaliste française, la veille aux Grandes conférences catholiques. Elle qui brossa en deux remarquables livres le portrait de Sarkozy. Un avant-goût de la cérémonie du jour, en quelque sorte. "L’Impétueux" ne va pas tarder.

La rumeur bruisse, "il" arrive dans la cour d’honneur. Elle enfle : il monte. Elle explose : il est là. Pour beaucoup, c’est un choc. Peu le connaissent, l’ont déjà vu "en vrai". Souriant, il salue. Légèrement cerné, barbe soigneusement mal taillée, cheveux grisonnants. Complet bleu parfait, très cintré, qui met en évidence son torse de sportif. On sent qu’il savoure cet instant, sa première sortie officielle depuis qu’il a quitté l’Elysée. La première depuis qu’il a été mis en examen.

Mais chuuut : ce n’est pas le sujet du jour D’ailleurs, la plupart des journalistes français n’ont pas été autorisés à entrer dans la salle. Ils devront s’arranger pour récupérer le son du jour auprès des chaînes de radio et de télévision belge. Le service de presse belge assure : l’exclusion de la presse française a été décidée avant les problèmes judiciaires de l’ex-président français.

Un journaliste de LCI, un autre de BFM, ont été admis : ils ont pu, quelques instants auparavant, interroger Didier Reynders sur les raisons de cet honneur. Il y a les liens personnels, tout d’abord : "Didier" et "Nicolas" se connaissent depuis plus de 20 ans. Puis, il y a les liens entre les deux pays : car honorer un ministre belge, c’est aussi, assure Reynders, honorer un pays tout entier. Et puis il y a Liège, la ville dont Reynders est originaire; Liège-la-française; Liège qui fête plus le 14 que le 21 juillet; Liège qui a déjà reçu sa Légion d’honneur.

Sarkozy sourit, se détend. Attend. Silence. Il commence fort. "C’est par une confidence toute simple que j’aimerais commencer mon propos : je n’ai pas vocation à m’installer à Bruxelles. Je suis juste de passage, je précise que je repars ce soir " Rires. On le comprend dès l’entame : il s’agira d’un discours à clés. Traduction française : il est juste de passage, donc son avenir est toujours bien en France

Il se réjouit d’être ici chez ses amis belges, ses cousins belges. Car la Belgique, rappelle-t-il, faisait partie de la Gaule. Puis les choses ont évolué. Il enchaîne : "Si la politique étrangère du roi Louis-Philippe avait été différente, nous aurions pu, mon cher Didier, être membres d’un même gouvernement. Aïe, aïe, aïe Notre amitié y aurait résisté. Mais à y bien réfléchir, il faut peut-être que je remercie Louis-Philippe d’avoir résisté à la politique de Talleyrand en refusant d’annexer la Wallonie à la France, car si tu étais né Français, quel concurrent politique ! On ne réécrit pas l’histoire sauf à avoir l’imagination de Valéry Giscard d’Estaing " Alors que pleuvent les "oh", il précise : "C’est un compliment "

Comme Charlemagne

Inutile de dire que, assis sur son fauteuil d’apparat, Didier Reynders sourit d’aise. D’autant que l’orateur continue à envoyer des monceaux de fleurs : "Ce n’est pas rien, Didier, d’être, comme l’Empereur Charlemagne, né à Liège Je me suis souvent demandé d’où venait ton ambition C’est Charlemagne". Dans la salle, les Liégeois sont aux anges. Ils seront servis car Sarko continue : "Liège a toujours résisté, toujours combattu pour défendre sa liberté. Toutes les villes d’Europe n’ont pas la même histoire". Puis il loue "une ville connue pour son flegme". Et il ajoute, toujours dans un message codé à destination des Français : "J’aime ce joli dicton wallon : faites comme à Liège, laissez pleuvoir. Bon Je me demande si je ne suis pas moi-même un peu de Liège Il ne sert à rien de maudire la pluie car elle finit toujours un jour ou l’autre par laisser la place au soleil "

Trop fort... les 320 convives s’esclaffent.

Puis l’ancien président français retrace les faits d’armes de son ami, les "immenses services rendus" à son pays, à l’Europe, là où ils se sont beaucoup côtoyés. Il évoque notamment l’arrivée de Didier Reynders aux Finances : "Pendant 12 ans, vous avez eu le même ministre des Finances. En France, nous qui sommes si fiers de la stabilité des institutions, dans la même période, nous avons été dix !"

Confiscatoire

Il évoque encore, dans un message codé, "l’impressionnant bilan" de Didier Reynders : "Tu as permis aux citoyens belges d’être moins fiscalisés, de consommer, d’investir, malgré toutes les difficultés. Tu as supprimé les taux d’imposition de 52 et 55 %, jugés confiscatoires " La salle se tord de rire. Pour bien se faire comprendre, il insiste : "Je parle bien de la Belgique, un cousin parmi les Belges "

L’ex-président conclut par un appel aux Belges. Même s’il ne veut en rien s’immiscer dans les discussions belges et même s’il respecte les opinions de tous, il dit : "Ensemble, on est plus fort que lorsqu’on est divisés".

Puis Sarkozy saisit le collier et déclare, solennellement : "Didier Reynders, au nom de la République française, je vous fais commandeur de la Légion d’honneur".

Très ému, Reynders dira combien il est touché que Nicolas Sarkozy ait accepté de venir à Bruxelles pour lui remettre cette décoration, signe de l’amitié entre deux hommes et entre deux pays.

Un déjeuner privé (cœur de cabillaud, bonbon brioché de poularde, forêt-noire aux deux chocolats) clôturera l’escapade "libérale" de Nicolas Sarkozy qui, deux heures plus tard, prendra le chemin des institutions européennes pour une rencontre avec MM. Van Rompuy et Barroso.

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