Monseigneur Léonard: Avec François, "on sent qu'il y a quelque chose qui se passe"
L'Église a-t-elle encore quelque chose à nous dire ? Et que peut-elle offrir aux plus démunis ? Pour l'archevêque de Malines-Bruxelles, qui a répondu à nos questions, "l'Église doit continuer à s'investir dans le monde pour contribuer à lui donner du sens". Mais comment ?
Publié le 29-03-2013 à 17h15 - Mis à jour le 05-10-2013 à 07h48
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Quand Monseigneur Léonard admire le travail de Barack Obama, des Français dans les rues, des catholiques au quotidien, et attend la politique du pape François.
C'est en évoquant la nouvelle évangélisation que le pape François a conquis les cardinaux avant le conclave. Depuis son élection il ne cesse de parler d'une Église "pauvre pour les pauvres", qui doit rester joyeuse et sortir d'elle-même pour rencontrer le monde.
Mais l'Église a-t-elle encore quelque chose à nous dire ? Et que peut-elle offrir aux plus démunis ? Pour l'archevêque de Malines-Bruxelles, Monseigneur Léonard, qui a répondu aux questions de LaLibre.be, "l'Église doit continuer à s'investir dans le monde pour contribuer à lui donner du sens". Mais comment ? Interview.
Ce dimanche, une manifestation s'est tenue à Paris contre le mariage pour tous. L'Église française l'a soutenue explicitement. Au même moment se tenait à Bruxelles une marche pour la vie qui manifestait notamment contre le droit à l'avortement. L'Église belge n'y était pas présente. Dans quel choix vous reconnaissez-vous ?
La marche pour la vie à Bruxelles est une très très bonne initiative. Je n'ai pu y participer cette année mais à l'avenir je chercherai à y participer comme je l'ai déjà fait les années précédentes. Cela fait partie de la vocation des chrétiens (et pas seulement des chrétiens) de souligner que même si une loi existe en matière de légalisation de l'avortement, cela reste un mauvais choix. Il y a d'autres voix possibles à condition d'avoir du cœur et de l'imagination. Tous ceux qui parlent d'avortement, qu'ils soient pour ou contre, peuvent le faire parce qu'ils ont pu être respectés quand ils étaient un petit embryon et un petit fœtus. Ne l'oublions jamais.
À Paris, je salue la capacité de la France à se mobiliser non pas pour demander une augmentation de salaire ou pour s'opposer à une loi qui les prive directement, mais de se réunir positivement pour soutenir la famille et la vérité du mariage entre un homme et une femme. Je salue le courage et la persévérance de ces personnes qui continuent à exercer leur pouvoir de citoyen.
Quand le pape François appelle les catholiques à réévangéliser le monde, c'est notamment à cela qu'il fait référence, à ce genre de mobilisation politique ?
Oui, mais attention, je ne mettrais pas ces deux manifestations dans le cadre de la nouvelle évangélisation parce que l'Église n'y défend pas une vision catholique, mais y défend des valeurs qui sont d'abord celles de la raison humaine. Ce n'est pas les catholiques qui ont inventé que l'on ne peut devenir un adulte que si l'on a été respecté dans le sein maternel. Quand l'Église raisonne et parle sur ces questions-là, elle le fait toujours en terme de droit naturel, en termes philosophiques, et non pas d'abord pour soutenir des choix exclusivement chrétiens.
Cela dit, la nouvelle évangélisation est très importante. Encore il y a quelques jours, j'invitais mes futurs prêtres avoir comme obsession de rencontrer ceux qui ne viennent pas dans leurs églises.
L’Église pose un regard bien souvent sévère sur l'époque contemporaine. Elle parle de dictature du relativisme, le pape François a même parlé d'une société de caprices d'adolescents. Si à contrario vous deviez retenir cette fois-ci un élément propre à notre époque et qui vous semble positif...
La solidarité imposée par la loi entre tous les citoyens en matière de sécurité sociale et de soin de santé. C'est une très belle incarnation de la doctrine sociale de l'Église. La Belgique est un des meilleurs pays au monde dans ce domaine-là. Tout le monde est solidaire de tout le monde. Cela me parait un acquis très très beau pour nos pays d'Europe occidentale. Et quand on voit comment ce combat est difficile pour Barack Obama qui, aux États-Unis, essaye d'obtenir quelque chose de comparable, on se dit qu'il faut veiller à préserver cet acquis.
Justement, on dit que le pontificat du pape François sera marqué par l'attention aux plus pauvres. À quoi concrètement les plus démunis peuvent-ils s'attendre de la part de l'Église ? Et quel message envoie-t-elle aux milliers de Belges touchés ces derniers mois par de sévères restructurations ?
Six fois par an, je quitte Malines pour visiter une région de mon diocèse où je loge pendant dix jours. Ce qui me marque, c'est tout ce qui se fait sur le plan social et caritatif dans chaque doyenné pour les personnes les plus démunies. Je suis impressionné du grand nombre de chrétiens qui sont engagés dans le cadre de l'Église auprès des plus pauvres, auprès des réfugiés, des sans-papiers, des personnes handicapées... Cela me donne un sentiment de fierté et je suis admiratif.
Quand il s'agit de la solidarité avec les personnes qui perdent leur emploi, il n'est pas dans le pouvoir de l'Église de leur retrouver un autre emploi, mais chaque fois qu'il y a un drame social, les évêques se montrent solidaires, et n'hésitent pas, comme lors de la fermeture de Ford Genk, à participer à une manifestation pour rester proches, à l'écoute et solidaires. Moi-même il m'est arrivé de participer à des manifestations pour soutenir les producteurs de lait par exemple.
À vous entendre, on perçoit une Église qui semble très proche des réalités de son époque, des plus démunis... Comment expliquez-vous alors que tant de gens se sentent abandonnés par elle, s'en écartent, et la considèrent comme en décalage, en rupture avec son époque ? L'Église est-elle incapable de faire passer son message ?
Je pense que l'Église est très proche des réalités de son époque. Évidemment, nous ne faisons pas de la publicité pour que l'on parle de nous. Nous agissons discrètement. Le but est d'être proche des pauvres, pas de travailler à notre image. Jésus lui-même a dit "que votre main gauche ignore ce que donne votre main droite".
Revenons au pape François, que pourra-t-il apporter à l'Église belge ?
C'est encore un petit peu tôt pour le dire. Mais je constate partout que son arrivée provoque beaucoup d'allégresse et de joie. On sent qu'il y a quelque chose qui se passe. Les gens ont été fort touchés par la manière simple, humble, courageuse dont Benoit XVI a pris sa décision de se retirer. Aujourd'hui, ils apprécient la simplicité et la spontanéité toute particulière de François.
Maintenant, on a eu surtout affaire jusqu'ici à des gestes qui ont eu une portée symbolique. On attend de voir comment notre nouveau pape s'y prendra pour gérer la curie romaine, qui il va nommer,... On analysera la politique qu'il mettra en œuvre, les orientations qu'il prendra sur le plan doctrinal, ce qu'il mettra en évidence. C'est trop tôt pour faire des supputations sur ces sujets-là, mais les premiers jours ont été très bénéfiques pour l'Église.
Vous avez des attentes particulières au niveau des dossiers doctrinaux, ou au sujet de la réforme de la politique de gouvernance de l'Église ?
Je ne suis pas de ceux qui pensent que la curie est parsemée de rivalités, cela me parait être du roman. Mais il doit y avoir une meilleure coordination entre les dicastères de la curie (NdlR: les ministères de l'Église). François doit veiller à cela pour qu'il y ait une action plus unifiée, une meilleure collaboration. Mais c'est au pape de voir. Il percevra mieux que nous quels seront les besoins.
Et vous, en tant qu’archevêque et en tant que sans doute futur cardinal, vous comptez vous rendre à Rome pour rencontrer le pape François ?
Je n'ai aucune raison de me rendre à Rome spécialement. Je pense que la première fois que j'aurai l'occasion de le rencontrer d'un peu plus près, cela sera à Rio de Janeiro, cet été, pour les JMJ. Sinon je n'ai pas de visites prévues à Rome qui devraient m'amener à rencontrer le Saint-Père dans l'immédiat.