Un prof sur 3 quitte l’école dans les 5 ans

Cela faisait des années qu’on nous le ressortait. En guise d’"observation interpellante", de "constat inquiétant", de "sonnette d’alarme", comme ils déclaraient. Au point que l’on n’aurait presque plus osé le contester. On parle ici des fameux 40 % d’enseignants qui quitteraient la profession au cours des cinq premières années d’exercice.

Alice Dive

Trajectoire

C

ela faisait des années qu’on nous le ressortait. En guise d’"observation interpellante", de "constat inquiétant", de "sonnette d’alarme", comme ils déclaraient. Au point que l’on n’aurait presque plus osé le contester. On parle ici des fameux 40 % d’enseignants qui quitteraient la profession au cours des cinq premières années d’exercice.

Mais voilà, aujourd’hui, ce chiffre pourrait bien être revu et affiné. Et avec lui, toute une série de stéréotypes tenaces sur "le métier de prof".

L’UCL, en collaboration avec l’ULB, vient en effet de dévoiler les résultats d’une étude menée durant un an et demi sur la trajectoire des jeunes enseignants. Essentiellement quantitative, elle constitue le premier volet d’une recherche plus vaste menée en trois temps.

L’originalité de ce travail ? Il est le premier - du moins en Communauté française de Belgique - à compiler et à analyser l’ensemble des données officielles disponibles en ce qui concerne le parcours des professeurs du primaire et du secondaire.

Une base de travail solide

Ainsi, tous les chiffres avancés dans cette étude sont fondés sur deux bases de données : d’une part celle de l’administration des personnels de l’Enseignement relative aux prestations des enseignants entre 2005 et 2011 ; d’autre part celle de la banque carrefour de la sécurité sociale couplée aux données des étudiants sortis de l’enseignement supérieur non universitaire à la fin de l’année scolaire 2001-2002, et ce jusqu’en 2010. Cela, c’est pour la base de travail.

Mais revenons à présent au fameux taux de 40 % tant rebattu. "Ce chiffre n’est pas faux, mais il manque d’exactitude", déclare Vincent Dupriez, co-auteur de l’étude, par ailleurs professeur et chercheur au groupe interdisciplinaire de recherche sur la socialisation, l’éducation et la formation (Girsef) de l’UCL. "Pour notre part, nous avons estimé la proportion d’enseignants débutants qui quittent la carrière endéans les cinq premières années à 35 % et ce, tous niveaux d’enseignement obligatoire confondus." Et de mettre immédiatement en garde : "Mais attention, ce taux de sortie masque deux réalités cruciales : d’une part l’extrême précocité de nombreux départs ; d’autre part la forte variabilité dudit taux selon les contextes et les caractéristiques individuelles."

Plus de départs précoces en secondaire qu’en primaire

Ainsi, constat pour le moins décapant, sur les quelques 35 % de "partants" endéans les cinq premières années de carrière, plus de la moitié (19,1 %) quitte déjà la profession dans le courant de la première année d’exercice ou au terme de celle-ci.

Autre observation, la proportion d’enseignants quittant précocement l’enseignement varie significativement en fonction de plusieurs facteurs. Parmi lesquels le type d’enseignement. Le graphique ci-dessus l’illustre, pas moins de 44 % des enseignants quittent le métier dans les cinq premières années quand ils exercent dans le secondaire ordinaire, alors qu’ils sont seulement 24 % à le faire lorsqu’ils enseignent dans le fondamental ordinaire.

Taux de sorties, pas d’abandons

D’accord. Mais cela ne répond pas à la question du "pourquoi" d’une telle fuite des enseignants débutants en début de carrière. Pour y parvenir, expose Bernard Delvaux, co-auteur de l’étude, par ailleurs professeur et chercheur au Girsef de l’UCL, encore faut-il savoir de quoi l’on parle. "Plutôt que de justifier un ‘taux d’abandons’, comme d’aucuns le qualifient, par le simple fait du découragement des jeunes fraîchement diplômés, mieux vaut parler de ‘sorties volontaires ou involontaires’ et tenter de les comprendre en déplaçant notre regard, notamment sur les conditions d’emploi qui sont offertes - ou pas - actuellement aux jeunes profs. Mais bien évidemment, cela, ironise-t-il, c’est un dossier politiquement complexe."

Ainsi, pour tenter de comprendre ce phénomène, les chercheurs ont établi trois catégories de facteurs, respectivement centrés sur le contexte, l’individu et les conditions d’emploi.

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Concernant les facteurs de contexte d’abord, l’analyse de la variable de "marché" ne manque pas d’intérêt. Tandis que les différences entre réseaux restent ténues lorsque l’on y observe le taux de sortie des enseignants "novices", elles sont par contre prononcées entre provinces. Ainsi, contrairement aux idées reçues, Bruxelles ne compte pas le taux de sortants le plus élevé de la Belgique francophone. Que du contraire. Le marché bruxellois figure en tête du classement, devant le Hainaut, les provinces situées autour de la N4 et Liège. La capitale est même considérée comme la plus "accueillante" en termes de possibilités de "trajectoires stables au cours de la première année d’exercice".

"Ceci s’explique probablement par le fait que Bruxelles dispose d’une plus grande offre d’équivalents temps plein (ETP)", déclare Bernard Delvaux. Par conséquent, il y a plus de possibilités pour les fraîchement diplômés d’y trouver un emploi stable."

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A propos des facteurs individuels ensuite, le constat est immédiat : la variable du diplôme demeure essentielle. Et contrairement à ce que l’on a pu entendre ici et là, les diplômés pédagogiques ne désertent pas le métier, loin de là.

Ainsi, si plus d’un tiers des profs qui débutent dans la profession n’ont pas de diplôme pédagogique en poche, ils sont aussi trois fois plus nombreux à quitter le métier au cours des cinq premières années, précisément lorsqu’ils ne détiennent pas de titre requis. "A l’heure où l’on parle de réformer la formation initiale des enseignants, ce constat nous conforte d’autant plus dans l’idée qu’il est nécessaire d’offrir aux futurs détenteurs d’un diplôme en pédagogie une formation qui soit de qualité", estime Vincent Dupriez.

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Quant aux facteurs liés aux conditions d’emploi enfin, un constat majeur se fait : des rapports de force trop inégaux entre les enseignants débutants et les autres, plus expérimentés, persistent.

Une "lutte des places" entre profs novices et chevronnés est donc bel et bien effective sur le terrain. Chiffres à l’appui. Seuls 42 % des enseignants débutants sont engagés pour la première fois en septembre, tandis que 31% le sont après le premier janvier.

Et les auteurs de l’étude d’en arriver à la conclusion suivante : chaque année, 4 800 nouveaux enseignants sont engagés en Communauté française. C’est trop par rapport aux besoins du système, constatent-ils. "Si ce dernier était organisé autrement, on pourrait descendre à 4 200, voire moins. Et ainsi réduire le phénomène de pénurie. Comment ? Notamment en améliorant la coordination entre PO présents sur un même marché, ou encore en réduisant l’écart entre les statuts de prioritaire et de non prioritaire"... tout un programme.

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