Scolarisés, mais illettrés

Mon rêve, c’est de travailler comme préposé à l’entretien”, confie Antoine, la voix un peu hésitante. Apprenant à la Locale sud de l’ASBL Lire et Ecrire Bruxelles, il a bravé sa timidité pour venir témoigner de son parcours dans le cadre des “Jeudis de l’hémicycle”.

St. Bo.

Mon rêve, c’est de travailler comme préposé à l’entretien”, confie Antoine, la voix un peu hésitante. Apprenant à la Locale sud de l’ASBL Lire et Ecrire Bruxelles, il a bravé sa timidité pour venir témoigner de son parcours dans le cadre des “Jeudis de l’hémicycle”, organisés par le Parlement francophone bruxellois, sous la houlette de son nouveau président Hamza Fassi-Fihri (CDH).

Antoine a été scolarisé dans l’enseignement obligatoire, mais il ne maîtrise pas les acquis de base que sont la lecture et l’écriture. Aujourd’hui, il souhaite plus que jamais décrocher un emploi  : “pouvoir nettoyer dans les hôpitaux, les hospices, les grandes surfaces et les magasins, et les usines aussi”.

Comme Antoine, ils sont plus de 15 000 en Communauté française à suivre des formations/cours d’alphabétisation organisés par des écoles de promotion sociale, des services publics tels des CPAS, et environ 175 associations, dont l’ASBL Lire et Ecrire.

Faute d’enquête spécifique, on estime que 10  % de la population adulte en Communauté française est analphabète. Un pourcentage qui, selon Lire et Ecrire, demeure toutefois en deçà de la réalité.

Milieux populaires ou défavorisés

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, l’analphabétisme ne touche pas que des personnes immigrées. “De manière générale, dans les cours d’alphabétisation, environ 15  % des apprenants sont belges de naissance, informe l’ASBL, 19  % ont acquis personnellement la nationalité et 66  % sont de nationalité étrangère.”

“Notre public est souvent issu des milieux populaires ou des milieux défavorisés, qu’ils soient migrants récents ou de longue date, naturalisés ou nés ici”, explique Aurélie Akerman, coordinatrice du service sensibilisation de Lire et Ecrire Bruxelles.

En Communauté française, pourquoi des personnes sont-elles illettrées alors qu’elles ont fréquenté l’enseignement obligatoire  ? “Le plus souvent, elles ont vécu dans un home d’enfants, en famille d’accueil, en tous cas sans soutien dans leur scolarité, reprend-t-elle. Elles ont aussi pu connaître de graves problèmes de santé; elles ont parfois été précocement orientées vers l’enseignement spécial et pas toujours de façon adaptée; elles ont pu avoir elles-mêmes des parents analphabètes, qui n’ont pas pu apporter leur aide.” Et d’ajouter  : “Parfois, ce sont plusieurs de ces raisons qui peuvent se combiner et compliquer franchement la tâche de l’écolier. Or, l’école demande un fort investissement de la part des parents. Dès la 1re primaire, les petits rentrent à la maison avec des exercices de lecture qui sollicitent les parents” sans oublier le journal de classe, “instrument privilégié des relations école-parents”.

Conséquences  ? Décrochage scolaire dès la 1ère ou la 2e primaire, “avec parfois une remédiation insuffisante ou peu de soutien de la part de l’école”, précise Aurélie Akerman; nombreux redoublements, réorientation vers la filière professionnelle, avec une diminution de moitié des heures de français et de maths. “Et, de toute façon, un sentiment très fort d’avoir été rejeté du milieu scolaire. Ce sentiment de rejet va les poursuivre tout au long de leur vie d’adulte.”

7 % d’échecs au CEB

Pour mieux comprendre pourquoi certains jeunes sortent de l’enseignement obligatoire en ayant de grosses lacunes en lecture et écriture, reprenons quelques chiffres. En fin de 6e primaire, en moyenne, 7  % des élèves échouent à l’épreuve du CEB (certificat d’étude de base). Arrivés en 1ère secondaire différenciée, près de 60  % de ces élèves l’obtiennent, “mais à 14 ans déjà…”, pointe Mme Akerman. “Quant à ceux qui ont leur CEB en 2e différenciée, pour 58  % d’entre eux, ce sera à 15 ans et pour 15  % d’entre eux, à 16 ans. Il reste alors deux ou trois ans jusqu’à la sortie de l’enseignement obligatoire.”

Pour l’ASBL Lire et Ecrire, “l’analphabétisme, plutôt qu’un problème individuel, est d’abord un problème politique lié à l’exclusion d’une partie de la population des circuits de la participation et de la communication. L’analphabétisme est intimement lié au fonctionnement de notre société inégalitaire.”

(1) Jeudi 23 mai, Lire et Ecrire Bruxelles a apporté ses éclairages sur l’alphabétisation en région bruxelloise.

Vous êtes hors-ligne
Connexion rétablie...