"On ne lâche pas le patient, même s’il demande l’euthanasie"

La réflexion éthique sur la pratique des soins palliatifs aboutit forcément à la question de l’euthanasie. Le colloque wallon y consacre la matinée du samedi, en croisant les regards des différents praticiens concernés. Médecin en soins palliatifs, le docteur Corinne Van Oost est parfois confrontée à ce type de demandes. Entretien.

Hovine Annick
"On ne lâche pas le patient, même s’il demande l’euthanasie"
©Alexis Haulot

La réflexion éthique sur la pratique des soins palliatifs aboutit forcément à la question de l’euthanasie. Le colloque wallon y consacre la matinée du samedi, en croisant les regards des différents praticiens concernés. Médecin en soins palliatifs, le docteur Corinne Van Oost est parfois confrontée à ce type de demandes.

Y a-t-il, en matière de soins palliatifs, une différence d’approche entre le nord et le sud du pays ? 
Non. Pas au niveau des soins palliatifs et des équipes qui prennent en charge les patients. La seule différence qui existe, c’est par rapport à la question de l’euthanasie. Du côté flamand, l’euthanasie est entrée assez vite dans la pratique des soins palliatifs. Du côté francophone, on suivait davantage les directives internationales, selon lesquelles l’euthanasie ne fait pas partie de la philosophie des soins palliatifs. 
En quoi ? 
La demande d’euthanasie s’inscrit dans une philosophie d’autonomie individualiste alors que dans la philosophie des soins palliatifs, la personne qui meurt fait partie de toute une société. Ce qui veut dire qu’en soins palliatifs, on va insister sur le fait qu’on ne meurt pas tout seul. La mort ne concerne pas seulement l’individu mais aussi ses proches et, au-delà, toute la société. En soins palliatifs, on introduit la notion de temps. D’emblée, on prend le malade en charge non seulement dans sa dimension physique mais aussi relationnelle et spirituelle, et donc sa famille. C’est pour cela que je dis qu’il s’agit de philosophies différentes. 
Qu’on peut articuler ? 
Je pense que du côté flamand, on est beaucoup plus pragmatique. Les équipes palliatives flamandes se sont positionnées en disant : on accompagne toute personne jusqu’au bout, même si elle est dans une philosophie de contrôle de sa vie et on accepte qu’elle veuille partir à un moment donné. Alors que du côté francophone, on est resté davantage dans une philosophie selon laquelle on ne contrôle pas l’heure de sa mort, que la mort fait partie de la vie, que c’est un processus naturel à respecter.
Les chiffres officiels montrent que 80 % des euthanasies sont pratiquées en Flandre. Mais on dit que les médecins francophones font des euthanasies sans les déclarer… 
Peut-être que certains médecins cachent des euthanasies. Parce que le patient veut mourir par euthanasie mais voudrait bien que sa vieille mère ne le sache pas, sinon elle ne pourra plus aller à l’église. Ou parce que les collègues vont l’apprendre et que ça risque de faire scandale. Ou parce que cela ne se fait pas. C’est une question de culture. Il faut peut-être rééquilibrer les choses : remettre des liens sociaux au nord et un peu d’autonomie au sud. C’est en train de bouger. 
Rencontrez-vous souvent des personnes qui ne souhaitent pas entrer dans une démarche palliative ? 
Oui. Un certain nombre de malades qui s’approchent de la mort veulent absolument la vivre en fonction de leur propre philosophie et ont du mal à accepter qu’on en discute avec leurs proches. J’entends cela quand je suis appelée par un confrère à domicile qui me demande d’aller voir un de ses patients. 
Que leur dites-vous précisément ? 
Que je suis médecin en soins palliatifs, que leur médecin m’a demandé de le voir dans le cadre de la loi sur l’euthanasie et que je l’écoute par rapport à sa souffrance. Je vais aussi l’interroger : en a-t-il parlé avec sa famille ? Les patients en demande d’euthanasie ne réalisent pas toujours que leurs proches vont être en souffrance. Que ceux-ci pourraient leur dire : au fond, toi tu choisis de partir mais tu ne me demandes rien. Ou tu ne veux pas rester avec moi le plus longtemps possible. Je leur dis toujours : si on soulage une souffrance, qui est la vôtre, mais qu’on en crée d’autres à vos proches, comme médecin, on n’est pas très à l’aise avec ça.
La souffrance exprimée par ces patients est-elle physique ou morale ? 
On ne peut pas dire aujourd’hui qu’on euthanasie des gens parce qu’ils ont mal physiquement. Dans 80 % des cas, la souffrance physique, on arrive à la soulager. La douleur, quasiment toujours, parfois au prix d’un peu de somnolence, parce que ce sont les effets secondaires des traitements antalgiques. On euthanasie des gens parce qu’ils sont en souffrance à cause de leur état physique. Mais la souffrance est plus morale que physique. Il y a toujours une part liée au fait qu’on ne se sent plus soi-même, qu’on n’arrive plus à être ce qu’on est étant donné l’état de son corps. 
Que faites-vous face à un patient qui persiste dans sa demande d’euthanasie ? 
Il en reste très peu : 90 % des demandes tombent quand il y a un accompagnement palliatif. A la Clinique Saint-Pierre, à Ottignies, comme avec Domus, l’équipe de soins palliatifs à domicile avec laquelle je travaille, nous avons choisi d’accompagner ces personnes jusqu’au bout. On fait équipe ensemble, avec les infirmières ou avec le médecin traitant quand la demande arrive chez lui. On ne lâche pas un patient. 
On ne le transfère pas vers un autre hôpital ? 
C’était le cas il y a dix ans. Du côté francophone, on a mis du temps à intégrer l’euthanasie dans nos pratiques. Maintenant, cela se fait de plus en plus. Rares sont les services de soins palliatifs qui y restent opposés. La demande est toujours accompagnée mais certains restent réticents par rapport à l’acte. Personnellement, vous en pratiquez ? Oui. On aide nos patients jusqu’au bout. Dans notre unité, il y a 170 décès par an, dont 3 ou 4 par euthanasie. On essaie toujours d’être à deux parce que c’est un acte qui est difficile, qui n’est pas banal et qu’il y a aussi deux injections à pratiquer. Cela nous permet de nous soutenir. Je viens aussi souvent en aide à mes confrères à domicile, même si ce sont eux qui sur le plan légal prennent la responsabilité de l’acte. C’est toujours difficile : je ne les laisse pas tout seuls. 
Quel a été le déclic pour intégrer l’euthanasie dans votre pratique palliative ?
Il y a des patients à qui on a dit non, on va encore un peu attendre… Et qui se sont suicidés. Là, je me suis dit que peut-être, on devait entendre un peu plus leurs souffrances. C’est ce type de patients qui nous ont fait bouger, nous, médecins de soins palliatifs.

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