Mgr Léonard, cardinal en février? "Oui, je l'espère"
A quelques jours de Noël, le Primat de Belgique évoque pour LaLibre.be et "La Libre" l’élargissement de la dépénalisation de l’euthanasie aux mineurs, le pouvoir d’influence politique de l’Église, sa stratégie de communication, la persécution de chrétiens dans le monde, ainsi que les grands évènements de l’année écoulée et ses espoirs pour 2014. Mgr André-Joseph Léonard est l’Invité du samedi de LaLibre.be.
Publié le 21-12-2013 à 07h12 - Mis à jour le 12-01-2014 à 12h53
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A quelques jours de Noël, le Primat de Belgique évoque pour LaLibre.be et "La Libre" l’élargissement de la dépénalisation de l’euthanasie aux mineurs, le pouvoir d’influence politique de l’Église, sa stratégie de communication, la persécution de chrétiens dans le monde, ainsi que les grands événements de l’année écoulée et ses espoirs pour 2014.
Mgr André-Joseph Léonard est l’Invité du samedi de LaLibre.be.
Comment se porte l’Église catholique belge en cette fin 2013 ?
Mieux qu’en 2010-2012... Nous avons finalement bien réagi à la manière de répondre aux scandales d’abus sexuels qui ont secoué l’Eglise par le passé. Il a fallu un peu de temps pour mettre en place une bonne procédure qui permette d’écouter, respecter et honorer les victimes, en particulier celles de faits prescrits. Puis l’Église belge a été marquée par le changement touchant de pontificat.
Lors de l’élection du pape François, vous aviez un peu caché votre enthousiasme. Quel est votre regard après 9 mois de pontificat ?
Il m’était difficile d’être enthousiaste, car c’était le seul des papabili que je ne connaissais pas. Depuis, je ne l’ai croisé que 10 secondes, mais mon regard est un peu différent. J’ai pu aussi lire de très très belles pages dans sa première lettre d'exhortation apostolique Evangelii gaudium . J’ai aussi pu voir la manière avec laquelle il s’adressait aux gens. Il touche leur cœur à travers un langage simple, quotidien.
Cela vous a troublé au début ?
Pas troublé, mais surpris… positivement. Je suis particulièrement heureux de son peu de soucis pour le décorum extérieur, les signes extérieurs de dignité ou de protocole. J’apprécie aussi son appel constant à aller vers les gens. Il a raison, un évêque, comme un berger, doit vivre au milieu de son troupeau.
Le Pape convoque un consistoire pour créer de nouveaux cardinaux en février. Comme la Belgique n'a plus de cardinal-électeur depuis que le cardinal Danneels a atteint ses 80 ans, pensez-vous que votre heure va sonner?
Peut-être...
Vous l'espérez?
Je dirais plutôt "oui" parce que cela paraît se situer dans la ligne d'une tradition pas très longue de seulement un siècle et demi, ce qui n'est pas long dans l'histoire de l'Eglise, vous en conviendrez. Je comprendrais très bien qu'il soit désireux de nommer davantage de cardinaux venant des continents émergents, d'Amérique latine, d'Afrique, d'Asie. Je comprendrais cela parfaitement.
Vos déclarations sur les femmes-cardinales n'ont pas ruiné vos espoirs?
C'étaient des déclarations d'interviews... Je suis de l'avis du Pape qu'une femme ne peut pas être cléricalisée puisqu'on ne l'ordonne ni diacre, ni prêtre, ni évêque. Et cela n'empêche donc pas du tout l'idée qu'on puisse désigner des cardinaux laïcs. Je serais très heureux de leur voir confier des responsabilités qui correspondraient à leurs compétences.
Il y a quand même un paradoxe: on veut revaloriser le rôle des femmes dans l’Église et en même temps on leur ferme la porte au sacerdoce...
Être prêtre n’est pas une fonction neutre, aseptisée. Les successeurs des apôtres représentent symboliquement et idéalement le Christ, fils unique du Père et époux de l’Église. Toute la Bible est habitée par cette logique nuptiale. Symboliquement, une femme peut difficilement prendre la place de l’homme. Sommes-nous prêts à revoir la Bible au nom de la théorie du genre, au profit d’une idéologie qui nivelle jusqu’à ne plus voir qu’une petite différence physiologique entre hommes et femmes? La logique culturelle d’être ce que je veux être n’est pas celle de la Bible. Mais Jésus était loin des préjugés machistes de son époque: il parlait aux femmes et même à une Samaritaine à la grande surprise de ses disciples et des rabbis pour lesquels le fait de parler à une femme était déjà en dessous de leur dignité!
Est-ce que le pape François va pouvoir mener à bien toutes les réformes qu'il entend initier? En particulier celle de la Curie?
J’ai été marqué par la qualité de nombre de ceux qui travaillent à la Curie, j’ai apprécié leur dévouement et leur compétence mais toujours surpris qu’il y ait si peu de contacts entre eux. J’ai aussi toujours été très étonné que le Pape ne rencontre pas régulièrement tous les membres de son équipe. J’ose espérer que François va bousculer tout cela, voire même écrémer un certain nombre de leurs organes et forcer une réelle concertation avec un rôle très actif pour le Pape. J’espère aussi qu’il y aura une approche moins par dossiers, plus humaine, plus directe. Ces derniers mois il y a eu un changement dans votre communication.
Vos propos sont parfois jugés "choquants ou provocateurs". Vu que vous prenez régulièrement les transports en commun, comment cela se passe-t-il avec les gens que vous croisez dans la rue ?
De manière très sympathique. Ils viennent me dire un petit mot, me font part de leurs intentions de prière, des Africains me demandent parfois que je les bénisse dans le métro,… Aucune animosité, des rencontres plutôt sympathiques.
Ces derniers mois il y a eu un changement dans votre communication. L'auriez-vous retravaillée?
Je n'ai pas conscience d'avoir adopté une stratégie différente mais il se peut que les médias à l'affût de déclarations toujours polémiques ont épuisé leurs munitions. Ils ont déjà été pêcher dans mes livres et dans mes méditations des petites phrases que l'on peut isoler et mettre en exergue pour susciter des polémiques. On peut penser qu'ils ont fait le tour de mes œuvres complètes...
Vous êtes clairement plus prudent qu'avant.
Disons plutôt que j'en avais un peu marre de me voir adresser tout le temps les mêmes questions... et lorsqu'on me les ré-adresse je renvoie volontiers à mes écrits. Sur le fond, je ne retire rien à ce que j'ai pu écrire.
L’élargissement de l’euthanasie aux mineurs a été voté la semaine dernière par le Sénat. Vous vous êtes clairement opposé au projet, mais on n’a pas senti une mobilisation très forte de votre part. Pourquoi ?
Ca peut encore venir ! Contrairement à la France, la Belgique ne se mobilise pas facilement pour une cause particulière. Encore que, pour la première fois, tous les chefs religieux se sont prononcés ensemble sur la question. Je n’exclus pas de mobiliser davantage autour de cette question afin de susciter un réel débat public qui dépasse l’enceinte du parlement. Il y a eu de notre part de nombreuses interventions, mais insuffisamment par rapport aux objections et enjeux, la vie et la mort.
Serait-ce le reflet d’un pays délabré spirituellement?
Peut-être, mais il faut voir aussi si tout le monde avait intérêt à répercuter cet appel. Je crois surtout que nous n’avons pas encore suffisamment motivé les gens à participer à ce débat de société en interpellant leurs élus. Le danger de l’élargissement de la dépénalisation de l’euthanasie, c’est de démobiliser l’engagement à toujours améliorer les soins palliatifs et leurs performances. Nous devons nous battre pour que les hommes, femmes, jeunes et vieux puissent mourir dignement et sans souffrance. Mais exclusivement à travers des soins palliatifs, car il ne faut pas imposer à toute une société sa vision de la vie.
Le choix de mourir n’est-il pas un choix individuel ?
La liberté individuelle est capitale, mais elle a aussi ses limites. Ce n’est pas un absolu qu’on peut imposer à une profession. Pour un médecin, il y a une différence entre une sédation temporaire pour soulager un patient qui souffre et une injection qui met un terme à la vie en quelques minutes. Ici, on a un projet de loi qui ne concerne que très très peu de mineurs. Cela donne à penser que ce projet de loi a une portée idéologique pour permettre de franchir un interdit de plus. Enfin, c’est un procès d’intention auquel je ne peux pas m’abandonner…
Que ce soit pour le Mariage pour tous , l’euthanasie ou la crise économique, l’Église doit-elle retrouver toute sa place dans la sphère politique ?
Dans la sphère de "la réflexion politique", en tout cas, mais pas dans la sphère politique elle-même. Elle a droit au chapitre comme d’autres convictions religieuses. Mais une loi "votée" n’élimine pas toute réflexion.
Il y a comme un manque d'intérêt et de prise de conscience vis-à-vis des persécutions que vivent un grand nombre de chrétiens dans le monde. C'est votre perception aussi?
Je l'aborderai dans mon homélie de Noël. Pourquoi les chrétiens d'Occident sont-ils si peu concernés et touchés et émus par ce qui se vit dans de nombreux pays du Moyen-Orient? Beaucoup d'entre eux s'en vont et c'est dramatique pour les Églises chrétiennes de ces pays et pour ces pays eux-mêmes car c'est une richesse d'avoir, sur son territoire, et l'islam et les chrétiens. Jésus est né dans des conditions difficiles aussi même si on ne peut pas parler de persécutions; il y a quand même des analogies: il y a eu la fuite en Égypte... Je voudrais attirer l'attention de nos médias généralistes sur les périls encourus par les chrétiens sur place.
Entretien: Dorian de Meeûs & Christian Laporte
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