Laurence Van Ypersele : "Un autre monde est né avec la Grande Guerre"
Laurence van Ypersele, historienne contemporaniste (UCL), préside le groupe de pilotage "Commémorer 14-18" de la Wallonie et de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Son regard sur la Grande Guerre va bien au-delà. Elle précise les grands enjeux des commémorations.
Publié le 24-12-2013 à 05h37 - Mis à jour le 14-01-2014 à 07h31
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Laurence van Ypersele, historienne contemporaniste (UCL), préside le groupe de pilotage "Commémorer 14-18" de la Wallonie et de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Son regard sur la Grande Guerre va bien au-delà. Elle précise les grands enjeux des commémorations.
Il y a une montée en puissance vers le centenaire. Pourquoi cet intérêt accru ?
Il n’est pas général. L’Etat fédéral allemand ne fait pas grand-chose, au grand dam de ses grands historiens, mais des Länders s’investissent. En l’Europe de l’Est, ce n’est pas l’effervescence connue sur le front Ouest. En fait, il y a un renouvellement profond de l’historiographie de 14-18 depuis 30 ans. Les historiens sont issus de la 3e génération, génération clé pour la mémoire car les grands-parents ont raconté des choses à leurs petits-enfants qu’ils ne disaient pas à leurs enfants. Puis il y a la fascination de la redécouverte de l’Europe après la chute du Mur. L’effervescence vient aussi du chiffre rond. On avait marqué le 50e anniversaire où il y avait encore des survivants. Puis, l’Europe se cherche. Un grand absent des commémorations sera l’Union qui ne fait rien alors qu’elle aurait pu s’affirmer. On est plutôt dans un consensus mou. C’était une guerre des nations et on s’en ré-empare pour redire la nation mais aussi la sous-nation. Cela pose problème chez nous, en Grande-Bretagne, etc.
Que vous inspire la récupération sous-nationaliste ?
Je suis dérangée par un discours non conforme aux connaissances historiques. Commémorer, c’est se souvenir ensemble avec toujours un aspect identitaire. Mais l’instrumentalisation politique me gêne. Encore que… L’Australie situe ses commémorations par rapport à la naissance de sa nation. Il y a là une ferveur extraordinaire qui s’explique par sa position dans le Commonwealth. Du côté de la Flandre officielle - pas toute la Flandre… -, il y a la volonté de se positionner sur la carte du monde. Or, les commémorations portent avant tout des valeurs comme la paix et la réconciliation. Et on peut se souvenir de la résistance, du respect du droit et des droits humains…
N’y a-t-il pas d’initiative commune d’historiens pour dépasser ces discours très géocentrés ?
L’Historial de la Grande Guerre de Péronne a lancé une énorme entreprise éditoriale en trois volumes, en anglais et en français. C’est une volonté de relier et de rendre compte des nombreux acquis de l’historiographie. L’objectif ? Apporter un regard neuf, transnational à partir de questions communes : qu’est-ce que combattre ?, qu’est-ce qu’être orphelin ?, qu’est-ce qu’être une nation occupée ? Des notions et des thématiques à croiser sans faire l’impasse sur la nation. Il y a une cinquantaine de contributeurs de pays du monde entier : des Japonais, des Argentins, etc.
Comme John Horne, vous regrettez que l’UE ne fasse rien ?
Il y a eu des appels mais on a dit que ça devait venir des Etats. Ils considèrent que l’an zéro de l’Europe, c’est 1947. La 2e Guerre mondiale fut sa matrice, la 1re, c’est la "super-préhistoire". Pourtant, le XXe siècle est né de la Grande Guerre. Ses effets vont jusqu’à la chute du mur de Berlin car la révolution russe en fut issue. La guerre fit redessiner la géographie, l’histoire des femmes fut aussi terriblement concernée, sans parler de l’évolution du droit international. Ce fut aussi le renforcement des nationalismes. Ce qui fait que plus on fait des recherches sur 14-18, plus on sent le caractère inaugural de cette guerre. Un autre monde est né avec des revendications sociales, des avancées sociales très fortes.
Pour tenter de savoir ce que nous réserve 2014, La Libre rencontré 14 "grands témoins" qui, chacun dans leur discipline, vont analyser le passé pour mieux cerner l'avenir.