Berenboom: "En 2013, les 'bons' ont semblé incapables d'agir"
Prix Rossel 2013 pour son roman "Monsieur Optimiste", Alain Berenboom livre ses attentes pour 2014 à LaLibre.be.
Publié le 28-12-2013 à 05h39 - Mis à jour le 28-12-2013 à 08h38
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"Monsieur Optimiste", son onzième roman, beau et émouvant, vient de recevoir le prix Rossel 2013. Avocat, né en 1947, il est aussi cinéphile, spécialiste du droit d’auteur, ancien professeur à l’ULB, avocat du Roi comme des détenteurs des droits de Tintin. Alain Berenboom a l’art de raconter l’après-guerre avec justesse et drôlerie à travers ses romans du commissaire Michel Van Loo qui décrivaient la collaboration, le Congo colonial ou l’immigration italienne. Mais tout cela n’était sans doute qu’échappatoires pour ne pas aborder le vrai sujet qui l’obsédait : sa propre famille. Dans "Monsieur Optimiste", il mène l’enquête sur ses parents immigrés juifs venus de Pologne, et qui voulaient devenir de "vrais" Belges, et sur ses grands-parents, oncles et tantes souvent morts dans les camps d’extermination. Nous l’avons rencontré dans son cabinet d’avocat, l’hôtel Otlet, demeure classée, commandée par le mécène Paul Otlet aux architectes Octave Van Rijsselberghe et Henry Van de Velde.
Qu’attendez-vous de 2014 ?
Je lis les bilans de 2013. Les péripéties qu’on retient de chaque année me paraissent souvent exagérément noires à l’aune de ce qu’a connu le XXe siècle. On va célébrer en 2014 le centième anniversaire de "la der des ders", disait-on. Or, on n’a jamais connu autant de guerres chaudes et froides et de génocides. Nos soucis quotidiens et conjoncturels actuels (comme le score futur de la N-VA) doivent parfois être confrontés à ce qu’ont connu les deux ou trois générations précédentes. Mon souci est que seuls les méchants sont mis en vedette et jamais les bons. Dans cette optique, 2013 aura été l’année de Bachar El Assad. Je sais qu’Hitchcock disait qu’un film n’était vraiment réussi que si le méchant était réussi… Mais j’espère qu’en 2014, "les bons" vont enfin lever la tête. En 2013, "les bons" ont été incapables d’agir. Barack Obama, "le bon des bons", le Kennedy du XXIe siècle, a paru bloqué par le système démocratique. Comme François Hollande en France.
Un exemple de blocage est la Justice. Jamais le pays n’a été aussi riche en termes de Produit national brut. Mais jamais la Justice n’a paru aussi pauvre… Une question de choix ?
C’est vrai, on a l’impression qu’elle allait mieux quand nous étions plus pauvres. On a beaucoup célébré la bonne gestion de Di Rupo. J’ai l’impression inverse. Il communique bien mais sur pas grand-chose. Je ne peux que constater, de manière consternée, le manque d’argent pour les tribunaux, pour les avocats "pro Deo", le manque de magistrats. Et la Justice n’a jamais été aussi lente. Je suis tout autant consterné qu’il n’y ait pas de réflexions réelles sur les peines alternatives et sur la sécurité. Celle-ci ne consiste pas à mettre les gens en prison - cela ne résout rien -, mais à investir dans la formation, l’intégration des immigrés, la création d’emplois. Et quand la Justice demande plus de moyens, ce n’est pas un discours corporatiste. Elle dit simplement que si on investissait davantage dans l’éducation, les programmes sociaux, l’emploi, il y aurait moins de monde devant les tribunaux et cela allégerait la Justice. Mais ce discours-là semble inaudible. On préfère célébrer le vote "historique" de la sixième réforme de l’Etat, mais ce n’est pas un programme, c’est juste le prix qu’il a fallu payer pour former un gouvernement. La N-VA a un programme, les autres non. Un programme doit avoir l’ambition de transformer le pays pour le rendre plus apte à fonctionner.
Vous venez d’une famille d’immigrés juifs. Que pensez-vous de la politique belge et européenne en matière d’immigration ? Les immigrés actuels sont-ils les Juifs d’alors ?
Le mal a commencé avec les lois Gol qui touchaient aux lois sur la nationalité. Un comble de la part d’un fils d’immigrés ! J’ai été choqué par ces lois qui ne visaient plus à intégrer mais à nous protéger des immigrés. Si mon père revenait aujourd’hui, il devrait repartir après ses études et ne pourrait rester. Il y a certes un progrès : ceux qui sont à l’intérieur des frontières de l’Europe des Vingt-huit sont mieux traités, mais en dehors, c’est l’Apocalypse. Il faut voir ce que l’Europe fait aux frontières de l’Italie et de la Grèce pour chasser les immigrés. On a perdu les valeurs d’accueil, de solidarité, de cosmopolitisme. On a oublié combien nos sociétés se sont construites grâce à l’immigration intellectuelle et "manuelle" (j’ai raconté l’immigration italienne dans un précédent roman). La popularité de Maggie De Block est une chose terrible car elle la base sur un discours implicite - couvert par le gouvernement Di Rupo - qui est : "J’ai pu protéger la Belgique contre les immigrés. Les immigrés ne peuvent pas être intégrés et devenir belges." L’Europe a construit à ses frontières une ligne Maginot - et on sait combien elles sont vaines - pour différencier les uns des autres. Ils sont les Juifs d’aujourd’hui, accueillis avec la même réticence que les Juifs de jadis dont on disait qu’ils seraient impossibles à intégrer. C’est incroyable d’entendre un ministre socialiste en France, Manuel Valls, dire que les Roms formeraient un peuple par nature inassimilable.
D’où viendra le sursaut ? Faudra-t-il passer, comme après les années 30, par une guerre ?
Le sursaut viendra des gens et l’arrivée d’Obama a montré, avec ses limites, que c’était possible. Aujourd’hui, heureusement, on ne referait plus la même guerre, pour des raisons budgétaires. On ne peut déjà plus acheter de Rafales ni faire la guerre en Syrie. Mais le sursaut sera difficile quand nous sommes à ce point submergés de communications sur rien, jusqu’à être saturés par la pâtée qu’on nous sert.
Quel regard portez-vous sur l’Etat d’Israël ?
Mon père était sioniste quand Israël était encore une idée de gauche, laïque, en rupture avec les Juifs traditionnels. On avait alors l’idée d’y construire une société idéale, un grand kibboutz. Je me souviens qu’à l’arrivée de Menahem Begin au pouvoir en 1977, il a dit : "Il est pire qu’Hitler !" Pour moi, le contraste entre cette image idéale et la réalité d’aujourd’hui en Israël est saisissant. Je me sens très mal à l’aise. Je sais qu’Israël est la seule démocratie de la région, mais je ne me reconnais nullement dans le gouvernement actuel et dans l’occupation des territoires. Beaucoup d’intellectuels en Israël pensent d’ailleurs comme moi.