Jihadistes : "Ce ne sont pas des illuminés mal dans leur peau"
Louis Caprioli, spécialiste du terrorisme islamiste, redoute le nombre croissant de jihadistes.
Publié le 01-06-2014 à 20h56 - Mis à jour le 02-06-2014 à 12h32
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Louis Caprioli, spécialiste du terrorisme islamiste, redoute le nombre croissant de jihadistesrt Conseiller du groupe de gestion et d’analyse des risques Geos, Louis Caprioli a été le patron de la lutte contre le terrorisme islamiste au sein des renseignements intérieurs français (DST) de 1998 à 2004.
Les conditions dans lesquelles Mehdi Nemmouche a été arrêté vous surprennent-elles ?
Cette arrestation a un côté surprenant. Il y a d’une part un assez grand professionnalisme dans la réalisation de l’attentat au Musée juif de Bruxelles. L’auteur prend la précaution d’avoir une casquette et on n’a pas de traces de lui. D’autre part, il va utiliser le seul moyen de déplacement qui peut encore être contrôlé en Europe, c’est-à-dire la ligne de bus qui part de la Hollande en passant par la Belgique pour arriver à Marseille. Il devait l’ignorer parce qu’il n’est pas de Marseille, mais traditionnellement les douaniers attendent ce bus pour y attraper des mules qui arrivent avec toutes sortes de stupéfiants.
N’est-ce pas curieux que le suspect ne se soit pas débarrassé des armes une fois l’attentat commis ?
On peut en effet se demander pourquoi il a transporté ses armes. Avait-il l’intention de les utiliser seul en France ? Avait-il des complicités locales pour l’héberger et planquer son matériel ? On pense à Mohamed Merah, qui a agi seul, sauf qu’ici on a un homme qui prend la précaution de ne pas frapper en France, mais en Belgique. Merah a pu être arrêté après ses attentats grâce à des recoupements parce qu’il est resté dans sa zone géographique. Sans ce contrôle inopiné, Mehdi Nemmouche aurait pu échapper aux enquêteurs parce qu’il s’est déplacé. En Syrie d’abord. Puis en Allemagne, en Belgique et maintenant en France.
Le profil de ce suspect vous inquiète-t-il plus qu’un autre ?
Ce qui m’inquiète, c’est qu’on est peut-être rentré dans une nouvelle phase. Si une des organisations jihadistes en Syrie a une nouvelle stratégie pour frapper l’Europe, on est dans une situation de plus en plus délicate. Je pense à l’Etat islamique en Irak et au levant, qui est l’organisation la plus radicale et qui, dans les années 2005-2007, a recruté des Européens venus faire le jihad en Irak pour commettre des attentats en Europe. S’est-elle lancée dans ce processus qui consiste à radicaliser les gens, à les entraîner et ensuite à leur dire qu’au lieu de combattre en Syrie il vaut mieux retourner combattre sur le sol européen et y faire le jihad ? C’est ça l’inquiétude. On entend aussi dire que Mehdi Nemmouche s’est radicalisé parce qu’il est allé en prison, que c’est la faute de la société. Je n’y crois pas. Ces gens-là ne sont pas des illuminés ! Ils ont une réflexion politique. Il faut arrêter de penser que ce sont simplement des gens mal dans leur peau. Il y a un processus idéologique qui s’apparente à l’idéologie marxiste des terroristes d’Action directe, des CCC, etc. Cette démarche idéologique s’appuie sur une interprétation erronée du Coran. C’est un ensemble de penseurs qui a amené le concept du jihad et qui l’a justifié. C’est pour ça que les gens s’engagent.
Lutter contre cette forme de terrorisme, est-ce plus difficile ?
Je me suis occupé de terrorisme de 1983 à 2004. L’inquiétude, c’est la nouvelle dimension que prend ce terrorisme. Auparavant, nous avions affaire à quelques dizaines de personnes parties faire le jihad en Afghanistan pour devenir des terroristes et qui sont revenues. Ensuite, nous avons eu des centaines de personnes parties faire le jihad en Irak et qui sont revenues pour faire des attentats. Elles ont été arrêtées en 2005-2007. Désormais, nous avons une génération qui comprend des milliers d’Européens et plus d’une dizaine de milliers de combattants étrangers; 1 500 ou 2 000 Marocains, autant de Tunisiens, des Libyens, etc. C’est ce nombre qui est inquiétant pour l’ensemble des services de sécurité. Les chiffres sont affolants. Toutes ces personnes ne vont pas commettre des attentats, mais nous devons essayer de toutes les surveiller, ce qui devient complètement impossible. Prendre en surveillance un individu, ça veut aussi dire s’occuper de tous les contacts qu’il va avoir. Imaginez la multiplication d’objectifs à surveiller !
Mehdi Nemmouche était fiché en France, mais la Belgique n’en avait pas connaissance. Est-ce un dysfonctionnement ?
Les individus doivent évidemment être fichés quand ils sont identifiés. Ça permet d’avoir leurs empreintes digitales, génétiques, etc. Mais ces individus ne se déplacent pas en Europe en utilisant leur véritable identité. Dès qu’ils arrivent sur une terre de jihad, ils ont un pseudo, ce qui rend les choses difficiles. Par ailleurs, je n’ai aucune inquiétude quant à l’état de la coopération entre les pays européens. Elle est ancienne et très efficace. Grâce à la Belgique, nous avons pu démanteler des réseaux qui préparaient des attentats en France contre la Coupe du monde de football en 1998. Deux opérations ont été menées en Belgique contre un réseau en relation avec le groupe salafiste pour la prédication et le combat qui ont ensuite permis à la France, l’Allemagne, la Grande-Bretagne, l’Italie et la Suisse d’arrêter le reste du réseau. La coopération avec les différents services belges a toujours été de bonne qualité.