L’immigration ne coûte pas, elle rapporte
La Belgique est l'un des pays où les immigrés rapportent le plus à l'Etat, selon une étude de l'OCDE. Mais la baisse de 10% de l'immigration pourrait avoir des conséquences économiques.
- Publié le 09-07-2014 à 06h52
- Mis à jour le 09-07-2014 à 07h33
La Belgique est l'un des pays où les immigrés rapportent le plus à l'Etat, selon une étude de l'OCDE. Mais la baisse de 10% de l'immigration pourrait avoir des conséquences économiques. Les discriminations à l'embauche privent l'Etat d'importantes recettes. Analyse.
Une oppportunité budgétaire peu exploitée
Pourquoi lorsqu’il s’agit de nos enfants on parle d’investissement, alors que pour les immigrants on discute en terme de coûts ? ", s’insurgeait il y a quelques jours Jozef De Witte, le directeur du Centre fédéral Migration, en présentant le dernier bilan annuel sur les migrations. Au-delà du fait qu’il juge cette distinction "choquante", le directeur estime qu’elle masque la réalité.
De fait, les études réalisées sur le sujet tendent à démontrer que l’immigration rapporte globalement plus que ce qu’elle coûte. En 2009, une équipe de chercheurs de l’université de Lille a détaillé l’impact de l’immigration sur les finances publiques françaises. Il en est ressorti que les immigrés coûtent quelque 48 milliards d’euros à la France, notamment en retraites (16,3 milliards), prestations de santé (11,5 milliards), allocations familiales (6,7 milliards), chômage (5 milliards) et aides au logement (2,5 milliards). Mais en retour, les immigrés reversent pas moins de 60,3 milliards à l’Etat au travers, entre autres, de cotisations sociales (26,4 milliards), impôts et taxes à la consommation (18,4 milliards), impôt sur le revenu (3,4 milliards) et impôts sur le patrimoine (3,3 milliards). Soit un solde positif de 12,4 milliards d’euros pour les finances publiques de la France.
Effet fiscal positif aussi pour les travailleurs non qualifiés
S’il n’existe pas d’étude comparable pour la Belgique, les économistes s’accordent sur le fait que l’immigration chez nous est sans doute encore moins coûteuse. "Ce qui détermine l’impact fiscal de l’immigration, c’est l’âge des migrants et leur niveau de qualification. L’immigration en Belgique a plus ou moins le même âge qu’en France, mais elle est plus qualifiée", analyse Frédéric Docquier, professeur d’économie à l’UCL. Par ailleurs, "l’immigration en Belgique est plutôt intraeuropéenne, alors qu’elle est surtout extraeuropéenne en France", explique le politologue et spécialiste des migrations François Gemenne.
Une étude comparative de l’OCDE a chiffré l’effet fiscal et budgétaire des immigrés en Belgique à hauteur de 3 500 euros par an par immigré en moyenne, ce qui place la Belgique dans le peloton de tête des pays où les immigrés contribuent le plus à l’enrichissement de leur pays d’accueil. Même parmi les travailleurs immigrés actifs mais non qualifiés, on constate une différence positive entre les coûts et les bénéfices fiscaux. Pensions mises à part, ces 3 500 euros annuels par immigré représentent pas loin de 1 % du PIB de la Belgique. "Avec la faible croissance du PIB belge ces dernières années, on voit que sans l’immigration la Belgique serait en récession", pointe François Gemenne.
Coûteuses discriminations à l’emploi
Le coût de l’immigration se mesure également sur le marché du travail. "On a observé que l’immigration a généralement des effets légèrement positifs sur les salaires, tout en affectant très peu le taux de chômage", souligne Frédéric Docquier. Toujours d’après les chiffres de l’OCDE, l’impact moyen de l’immigration sur les salaires est de + 0,27 %. Dans les régions ou les villes où l’immigration est plus importante, les salaires sont d’ailleurs légèrement supérieurs.
"Sur le marché de l’emploi, l’immigration suit une logique de complémentarité plutôt que de substituabilité : les immigrés ne viennent pas pour les mêmes emplois que les natifs. On a remarqué que les immigrés prennent les salaires tout en bas de l’échelle et font ainsi gagner un échelon aux natifs, notamment dans les professions qui requièrent peu de qualifications", poursuit Frédéric Docquier, en précisant que "d’un point de vue purement économique, l’immigration, même massive, n’a jamais montré d’impact négatif sur la fiscalité ou le marché du travail , au contraire".
A en croire plusieurs spécialistes, la contribution économique des immigrés pourrait encore être accrue. Car même si elle est positive, elle reste néanmoins légèrement inférieure à celle des autochtones. "Non pas parce que les immigrés sont davantage dépendants des prestations sociales, mais parce qu’ils sont moins bien rémunérés et cotisent moins", précise François Gemenne. Avec ce paradoxe : la Belgique est à la fois l’un des pays où les immigrés rapportent le plus et l’un des pays où le taux de chômage des immigrés est le plus élevé. "Il y a un énorme potentiel à exploiter, mais qui se trouve bridé par les discriminations dans l’accès à l’emploi ", explique François Gemenne.
Un débat culturel plutôt qu’économique
Bien plus une opportunité budgétaire qu’une menace, selon les économistes, les effets de l’immigration demeurent cependant très difficiles à quantifier au-delà de son impact sur le budget de l’Etat et sur l’emploi. D’autres facteurs plus difficilement palpables, comme la consommation, la productivité ou l’innovation, peuvent aussi être affectés par l’immigration. A ceux-là s’ajoutent aussi des facteurs extraéconomiques, comme le capital social, la diversité culturelle ou encore le taux de criminalité. Ce dernier facteur, souvent utilisé comme argument pour justifier les politiques migratoires restrictives, peut également expliquer pourquoi, selon un sondage Ipsos, 72 % des Belges estiment que l’immigration est défavorable à la Belgique et 94 % pensent qu’elle a été trop importante ces dernières années. A ce jour, pourtant, aucune étude n’a permis d’établir le lien de causalité entre immigration et délinquance. D’où le constat, selon Frédéric Docquier, que "le coût de l’immigration est bien plus un débat d’ordre culturel qu’économique".
Le ralentissement des flux migratoires pourrait freiner la relance
Le dernier rapport du Centre fédéral Migration, paru il y a deux semaines, révélait une forte diminution de l’immigration dans notre pays. De 138 000 nouveaux arrivés en 2011, la Belgique en a accueilli à peine 125 000 l’année suivante, soit 10 % de moins. Ce chiffre, attribué à des politiques migratoires plus restrictives, va à l’encontre des tendances observées ailleurs en Europe et intervient après trois décennies d’augmentation constante. Et cela pourrait bien se ressentir sur notre économie.
Des secteurs déjà en pénurie
Selon les chiffres de l’OCDE, un immigré rapporte en moyenne 3 500 euros par an à la Belgique. La différence de 13 500 immigrés enregistrée entre 2011 et 2012 priverait ainsi l’Etat belge, en théorie, de 47 millions d’euros de recettes fiscales. Dans les faits, estiment les économistes, ce chiffre est certainement un peu inférieur dans la mesure où l’effet fiscal dépend principalement du niveau d’éducation et que la cohorte concernée par la diminution, les immigrés d’origine extraeuropéenne, sont globalement moins qualifiés que la moyenne des immigrants en Belgique.
La diminution du nombre d’immigrants pourrait également se ressentir sur le marché du travail. "Sans pouvoir prédire l’avenir, on peut aisément imaginer qu’à la sortie de la crise, on manque de capital humain dans certains secteurs, ce qui pourrait freiner la reprise et nous déforcer au niveau international", pointe l’économiste Frédéric Docquier. Les secteurs qui emploient beaucoup de travailleurs immigrés, comme l’Horeca, la construction ou l’aide aux personnes, pourraient ainsi se retrouver handicapés. "L’Horeca est déjà en manque de travailleurs qualifiés, commis de salle et de cuisine, réceptionnistes ou encore femmes de ménage , déclare Jean-Louis Simonet, président de la fédération Horeca dans le Hainaut. Ce sont des postes peu prisés des Belges, qui rechignent à travailler les soirées et les week-ends. L’effet combiné de la diminution de l’immigration et le manque de travailleurs qualifiés en Belgique pourrait accroître cette pénurie." Dans le secteur de la construction, l’inquiétude est moindre. "Nous avons perdu une dizaine de milliers d’emplois à cause de la concurrence des travailleurs détachés venus d’Europe de l’Est . Il y a donc actuellement un vaste stock de travailleurs en demande d’emploi", explique Gabriël Delporte, secrétaire général de la Confédération Construction. Un discours qui fait écho à celui de l’Union wallonne des entreprises (UWE). "Les travailleurs immigrés sont surtout européens. En outre, la Wallonie dispose d’un grand nombre de demandeurs d’emploi, pas toujours qualifiés, qui peuvent combler les éventuelles pénuries. La diminution de l’immigration ne posera pas de problème tant que le taux de chômage est haut", affirme Jean de Lame, directeur emploi/formation à l’UWE.
Les premiers immigrants sont à la retraite
Le ralentissement de l’immigration, dont on ignore s’il se confirmera à l’avenir, intervient à un bien mauvais moment. "Nous sommes dans la période où coïncident l’arrivée à la retraite des baby boomers et celle de la première vague d’immigrants , constate Frédéric Docquier. Même si l’immigration n’est qu’une solution provisoire au financement des pensions, elle pourrait compenser ce creux pendant ces dix ou quinze prochaines années, qui sont critiques." D’autant que parallèlement à la diminution des immigrants, les émigrants, eux, sont plus nombreux chaque année.V.G