Que fait-on des drogues saisies en Belgique?
Récemment, un policier français a dérobé 52 kilos de cocaïne stockés dans une chambre forte d'un commissariat parisien. En Belgique, un tel fait divers est impossible car les drogues saisies sont incinérées sans tarder.
Publié le 18-08-2014 à 10h18 - Mis à jour le 18-08-2014 à 10h19
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C’était il y a quelques années en région liégeoise : un contrôle de routine fut mené par les douanes sur un camion qui venait du port d’Anvers et n’avait pas Liège pour destination. Au milieu de la cargaison, deux immenses sacs de sport. A l’intérieur, les douaniers découvrent de la cocaïne empaquetée dans des pains d’un kilo avec un logo.
Au total, il y en avait 240 k, soit pour quelque 2 millions d’euros à la revente. Fabienne Delmiche, premier substitut du procureur du roi de Liège n’oubliera vraisemblablement jamais cette importante prise.
Attachée à la section "Grand banditisme", cette magistrate de référence en matière de drogue à Liège en garde d’ailleurs des photos dans la mémoire de son GSM.
On y voit les paquets empilés sur un gros bureau métallique. Sur un autre cliché, on découvre trois policiers, équipés de masques pour éviter de respirer par accident la drogue. Ils posent devant la prise située à l’arrière-plan.
La cocaïne ne restera pas longtemps dans les locaux de la police. Ni même au greffe correctionnel du palais de justice de Liège où sont conservés les objets saisis.
Le soir même, après soustraction d’un échantillon pour analyse, les 240 k de cocaïne furent conduits sous bonne escorte dans une cimenterie de la région. La drogue y fut incinérée dans un des fours fonctionnant à très haute température. "Cela représentait en effet, du point de vue financier, un véritable trésor qu’il était très difficile de conserver longtemps sans prendre des mesures drastiques", se souvient Mme Delmiche.
Pas question donc, en Belgique, de salle dédiée, comme à Paris, où les importantes saisies de drogue sont conservées dans un lieu spécial au niveau des commissariats de police comme l’a rappelé l’actualité récente.
Il y a quelques jours, en effet, 52 k de cocaïne ont été volés au célèbre 36, quai des Orfèvres, siège de la prestigieuse police judiciaire.
Dans le dossier liégeois traité au niveau du parquet par Mme Delmiche, le transporteur a été blanchi. Il n’était pas au courant de la présence de cocaïne.
En témoigne le fait que l’ouverture de son camion avait été forcée. Les trafiquants devaient sans doute récupérer la marchandise au cours du trajet. Le dossier n’a jamais été élucidé.
Déposée au greffe
En Belgique, les drogues sont systématiquement saisies, sauf s’il s’agit de drogues douces en quantités inférieures à 3 g.
Si les toutes petites quantités peuvent rester dans les commissariats, on procède à un dépôt systématique des autres prises au greffe des différents tribunaux correctionnels.
Dans le premier cas, ce seront parfois les policiers qui effectueront eux-mêmes la destruction. Cela peut se faire de manière relativement artisanale. Exemple : des plants de cannabis peuvent être placés dans un fût et de l’eau de Javel est versée pour rendre la drogue totalement impropre à la consommation.
Mais généralement, la destruction est effectuée dans des cimenteries. "Tous les mois ou à peu près, la PJF ou les zones ont des contacts avec des cimenteries. Tous les deux ou trois mois, j’ai un PV récapitulatif qui me permet de déterminer que tout a été détruit. De plus le greffe vérifie que c’est bien le cas", explique Mme Delmiche.
Mais avant d’en arriver là, les produits saisis sont systématiquement pesés et comptés. On en fait un inventaire. Car, l’actualité le démontre, ce sont des produits tentants. Ce sont aussi des substances nocives et qui, au niveau sanitaire, ne peuvent être conservées trop longtemps. "Je me souviens d’une saisie de Khat. Il s’agit de grosses bottes d’une plante que l’on mâche, principalement au Yémen, pour ses vertus stimulantes et euphorisantes. Le juge avait mis un peu de temps pour les faire détruire. Le personnel commençait à se sentir mal dans les bureaux", se souvient la magistrate.
Avant la destruction, il faut pouvoir déterminer la nature du produit. Les policiers font des petits tests. Ils utilisent des petites languettes pour déterminer s’il s’agit par exemple de cocaïne. Ce sont des tests indicatifs.
Des prélèvements pour analyse
Dans la majorité des cas, quand les prises sont importantes, des analyses sont effectuées dans des laboratoires spécialisés. "Cela coûte à chaque fois plusieurs centaines d’euros minimum. Ce sont des frais de justice que l’on ne pourra imputer à un condamné."
Mais le jeu en vaut la chandelle car les juges du fond souhaitent disposer d’une analyse et connaître la nature du produit.
Et puis, on ne sait pas toujours ce qu’il y a dedans, il peut s’y cacher un produit particulièrement dangereux qui pourrait faire l’objet d’un signalement en raison du produit de coupe utilisé. Les imaginations sont fertiles : quand cela s’injecte, cela peut être mortel.
Pour le cannabis, il est important de connaître le taux de THC, qui en est le principe actif. Plus il est élevé, plus la toxicité est forte.
Cela dénote ou non du caractère industriel de la plantation. Dès lors que le danger est plus grand, le juge du fond en tient compte.
Pour des produits comme la cocaïne ou l’héroïne, le niveau de pureté constitue une information importante car elle permet d’en déduire à quel niveau de la chaîne de traitement du produit se trouve le suspect.
Des trafics juteux qui entraînent des calculs savants
C’est un commerce - ou plutôt un business - qui débouche sur des bénéfices colossaux. "On n’imagine pas le bénéfice que l’on retire de la vente. Un kilo de cannabis coûte 1 000 euros à l’achat mais est revendu 3 000 ou 4 000 euros. Le prix d’achat de la cocaïne est difficile à évaluer mais à la revente entre 5 000 et 8 000 euros donc la marche bénéficiaire est extrêmement importante", explique le premier substitut Fabienne Delmiche, magistrate de référence "Stupéfiants" au parquet de Liège.
A côté des peines ou des amendes, la Justice prononce donc des confiscations qui peuvent être très importantes. Et la magistrate de citer deux dossiers récents dans lesquels il y a eu des confiscations respectives de 750 000 euros et de 9 millions. Dans les deux cas, il y a eu appel.
Pour parvenir à ces confiscations, il faut réaliser "un calcul de l’actif illégal". Ce calcul est réalisé sur la base des quantités de drogue retrouvées lors des perquisitions. Lors de la découverte d’une plantation de cannabis, il faut imaginer ce qui a pu être produit lors de précédentes récoltes.
Les auditions des clients toxicomanes sont également importantes. Ils peuvent dire depuis quand la personne interceptée vend. Le fait-il tous les jours ? En quelles quantités et à quel prix ?
On calcule aussi la valeur de la drogue en fonction des renseignements que l’on a pu récolter au cours des écoutes téléphoniques. Celles-ci se font souvent en langage codé mais ce type de langage est souvent facile à décoder.
Comptes d’apothicaire
Le calcul est effectué par des policiers spécialisés. "Il s’agit toujours d’un calcul théorique car le trafiquant ne travaille évidemment pas sur facture", relève Mme Delmiche.
Les enquêteurs arriveront à un chiffre a minima ou a maxima. Le magistrat, lui, demande généralement le calcul le plus favorable au prévenu. "Ce qui est toujours très intéressant, c’est, qu’au moment du réquisitoire, les prévenus ne relèvent la tête que pour entendre les peines demandées par le procureur du roi. Et ils prêtent encore plus d’attention au réquisitoire de confiscation. C’est ce qui les intéresse au plus haut point. Cet argent leur est passé entre les mains. Et quand il faut le rétrocéder, c’est douloureux."
S’agissant de ces calculs, il semble y avoir deux écoles du côté des juges du fond : ceux qui déduisent l’investissement et ceux qui ne le déduisent pas.
On relève des arrêts de cours d’appel qui vont dans les deux sens. "Je suis évidemment opposée à ce que l’on puisse déduire l’investissement. Ils disent qu’ils achètent par telle filière et à tel prix. Et certains juges disent que le prix d’achat doit être déduit. Mais on n’est pas dans le commerce de vêtements ou de pneus. On est dans le cadre de trafics de produits stupéfiants et je ne vois pas pourquoi leur petit fonds de commerce devrait être déduit" , scande Mme Delmiche.
Il sied par ailleurs de relever qu’une modification législative a récemment été opérée. Auparavant la confiscation par équivalent pouvait être assortie d’un sursis. Ce n’est désormais plus possible. Une condamnation par équivalent concernant un bénéfice engrangé est immédiate et ferme.
Des confiscations difficiles
L’exécution des confiscations n’est plus de la compétence du procureur du roi. Bien souvent, elle se révèle compliquée. Car, dans les trafics internationaux, l’argent et les biens, comme les immeubles, ne sont pas en Belgique. Prenons les trafics entre le Maroc et la Belgique. L’argent qu’ils engendrent est investi au Maroc et il est impensable que la Belgique puisse faire vendre des immeubles au Maroc. Idem avec la France, on peut simplement dénoncer les faits. En outre, les banques sont prévenues avant que la Justice intervienne et les comptes à l’étranger sont vidés.
Même en Belgique, il peut se révéler difficile de saisir un immeuble. Dans un des dossiers traité au parquet de Liège, le juge d’instruction avait saisi un immeuble à titre provisoire. Le couple a divorcé et la femme l’a repris. Elle n’était pas impliquée dans le trafic. On n’a donc pu le saisir.
Il est donc extrêmement difficile de réaliser des confiscations avec ventes d’immeubles. "La Justice en Belgique, contrairement à des pays comme l’Espagne, la France ou les Pays-Bas est encore frileuse pour les confiscations", conclut Mme Delmiche.