La fronde s’organise contre le décret Marcourt
La rentrée académique approche et elle va voir l’application de la plus grosse réforme de l’enseignement supérieur en Belgique francophone depuis celle dite de Bologne, il y a dix ans. Mais le décret-paysage du ministre Marcourt, voté à l’automne dernier par le Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, ne fait pas que des heureux.
- Publié le 01-09-2014 à 19h00
- Mis à jour le 02-09-2014 à 06h33
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La rentrée académique approche et elle va voir l’application de la plus grosse réforme de l’enseignement supérieur en Belgique francophone depuis celle dite de Bologne, il y a dix ans. Mais le décret-paysage du ministre Marcourt, voté à l’automne dernier par le Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, ne fait pas que des heureux. Cinq professeurs d’université, dont Michel De Wolf, le doyen de la faculté des sciences de gestion de l’UCL, qui affirment bénéficier de soutiens multiples dans leur démarche, six hautes écoles et le secrétariat de l’Enseignement catholique ont introduit une requête en annulation auprès de la Cour constitutionnelle.
Les professeurs frondeurs, Michel De Wolf, Heinz Bouillon (doyen honoraire de l’UCL), Nathalie Burnay, Isabelle Schillings et Olivier Servais, exercent à l’UCL, à l’ULg et à UNamur. Ils contestent plusieurs articles fondamentaux du décret-paysage. Et si la Cour constitutionnelle leur donnait raison (on peut espérer une décision pour le printemps prochain), c’est tout le décret qui devrait être mis à la poubelle. Devrait, car il n’y aurait alors pas de possibilité de recours.
"Un corset bureaucratique et localiste"
Dans le texte de la requête, daté du 18 juin dernier, on peut lire que "le décret porte atteinte, de manière injustifiée ou disproportionnée, à la liberté académique" . Il compliquerait "inutilement" la réalisation des missions de l’université "notamment en cadenassant l’innovation pédagogique et l’émulation interuniversitaire" . Les requérants ajoutent : "Le décret affecte les conditions d’exercice, voire l’existence, de certaines de leurs activités personnelles actuelles : doubles diplômes, […] accompagnement des étudiants et des collègues, […] langues utilisées dans les enseignements, décisions d’admissions d’étudiants, pratiques d’évaluation lors des examens… Le décret enserre les requérants dans un corset bureaucratique et localiste, à contresens des tendances internationales […] portant ainsi atteinte à leurs conditions et motivation au travail, ainsi qu’à leur crédibilité et leur réputation vis-à-vis de leurs collègues étrangers."
Vingt et un points de griefs, justifiant selon eux une annulation du décret, sont listés. Il est également rappelé à la Cour l’avis défavorable qu’avait émis, en juin 2013, le Conseil d’Etat sur l’avant-projet de décret, auquel "le législateur n’a pas répondu adéquatement".
"On touche à la liberté académique"
Le doyen de l’UCL, Michel De Wolf, fait donc partie des requérants. Il ne voyait pas d’autres solutions pour contrer l’application de ce décret que d’aller en justice, "puisque nous ne sommes pas dans les négociations politiques". Et il se défend d’avoir voulu se jeter dans un combat politique anti-PS. "L’idée de l’université, c’est la pluralité des opinions, du débat. Mais le décret, avec l’Ares, veut régenter les établissements par le haut, mettre des barrières pour empêcher toute nouvelle initiative, tout nouveau programme venant de la base, et aussi les professeurs d’avancer dans leur recherche. Cette conception me dérange. On touche à la liberté académique", dit-il.
Et pour bien souligner les principes du décret qu’il juge aberrant : "Les universités flamandes montent dans les rankings internationaux, alors qu’elles admettent les principes de liberté, de concurrence et qu’elles ont un système de financement différent du nôtre."
Une entrave au droit européen
Le doyen énumère quelques exemples concrets. "L’étudiant se voit accorder le droit de ne pas avoir plus d’un examen par jour à passer. Evidemment, nous essayons toujours d’étaler la session mais, dans certains cas, ce n’est pas possible." L’organisation de l’enseignement sur base géographique ? "C’est terriblement heurtant ! L’université d’aujourd’hui, ce n’est pas ça. Nous sommes dans un concert mondial et nous n’avons pas besoin d’une base ultra-localiste. Et puis, il y a une entrave au droit européen puisqu’on brime la possibilité d’une université d’être un acteur économique partout où c’est pertinent." Dans la requête, figure d’ailleurs une suggestion à la Cour constitutionnelle de demander un avis à la Cour de justice de l’Union européenne au sujet d’une violation possible des règles de libre circulation des services d’enseignement. Le doyen craint en outre que "cette approche planificatrice, centraliste et ultra-localiste de l’enseignement soit appliquée à la recherche".
Michel De Wolf et les quatre professeurs requérants se disent "prêts à rencontrer le gouvernement pour lui faire des propositions concrètes". Et si leur recours n’aboutit pas, en bons légalistes, ils se plieront à la décision de justice. Pas de crainte donc de les voir prendre le maquis…