Stéphane Bern: "La reine Fabiola distillait la joie de vivre autour d’elle"
Animateur, journaliste, écrivain et spécialiste du Gotha, Stéphane Bern a rencontré la reine Fabiola à plusieurs reprises. Il se souvient d'une personnalité drôle, imprévisible, "solaire" et trop chaleureuse pour s'embarrasser du protocole. Entretien.
Publié le 08-12-2014 à 07h36 - Mis à jour le 09-12-2014 à 15h59
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Animateur, journaliste, écrivain et spécialiste du Gotha, Stéphane Bern connaît bien les monarchies européennes. A plusieurs reprises il a rencontré la reine Fabiola. Ses souvenirs témoignent d’une personnalité drôle et imprévisible.
Vous avez immédiatement partagé l’annonce du décès de la reine Fabiola sur Twitter. Qu’avez-vous ressenti en apprenant sa disparition ?
Beaucoup de tristesse. C’était une femme profondément bonne et chaleureuse. Son accent espagnol apportait une touche solaire dans les conversations. Elle était toujours extrêmement drôle ! Je l’ai rencontrée pour la dernière il y a trois ans à l’occasion de l’Ommegang. J’étais déguisé en officier d’armes chargé de faire les publications solennelles. Elle est venue assister à la représentation. Je lui ai dit "Madame, j’espère que vous allez apprécier. Je vais faire de mon mieux. Je suis très honoré de la présence de votre Majesté". "Faites quelque chose de très simple" m’a-t-elle dit "nous sommes très démocrates ici. Tout le monde est logé à la même enseigne".
Un moment reste-t-il gravé dans votre mémoire ?
Celui où j’ai découvert qui elle était réellement. C’était en décembre 1992 dans les salons lambrissés du palais de l’Elysée à Paris pour un dîner d’Etat en présence de François Mitterrand. Il y avait là la princesse de Chimay qui accompagnait Paul-Louis Weiller, Françoise Mallet-Joris, des intellectuels, des hommes d’affaires. Et contre tout protocole, tout d’un coup, elle n’arrêtait pas de héler son mari en l’appelant "Querido, querido ! (Chéri, chéri ! NdlR) Regarde, Monsieur Machin est là… Il faut que tu parles au professeur Carpentier…". Elle cherchait à lui présenter des gens. C’était tellement peu protocolaire, si chaleureux, spontané et naturel. C’était elle ! C’est alors que le président de la République m’a dit "Parfois j’envie tous ces rois…" C’est à cette occasion que j’ai demandé à la Reine pourquoi elle aimait tant Paris. "Parce que Paris et le professeur Carpentier ont sauvé mon mari" m’a-t-elle répondu. Ça disait déjà tout l’amour qu’elle avait pour le roi Baudouin. C’était un couple profondément uni. Ils cherchaient la présence l’un de l’autre. J’ai trouvé admirable, lors de la mort du roi Baudouin, cette reine blanche qui s’avance derrière le cercueil du roi. Elle était toute de dignité. L’amour qu’elle portait à son mari était à l’égal de l’amour qu’elle portait à son pays. Elle ne s’est pas effondrée dans les larmes. Il y avait chez elle quelque chose de quasi mystique. La foi la portait. Et en même temps, c’était une femme tout à fait normale. Elle considérait que sa femme de chambre était à l’égal d’un chef d’Etat. Elle parlait aimablement et agréablement de la même façon à tout le monde.
C’est si inhabituel que ça ?
Ce n’est pas courant. Un maître d’hôtel du Fouquet’s à Paris m’a raconté qu’un jour personne n’a reconnu la reine Fabiola lorsqu’elle est venue pour déjeuner. Elle a été placée près des toilettes. Un autre maître d’hôtel est arrivé et a découvert qui était installé là. Il s’est précipité en disant "Madame, je suis confus qu’on vous a placé à côté des toilettes". Elle a répondu "Monsieur, ne vous inquiétez pas. Là où je suis, c’est forcément la meilleure place."
A vous entendre la reine Fabiola devait représenter un casse-tête permanent pour ceux chargés du protocole…
C’était difficile parce qu’elle aimait le contact et parler avec chacun. Elle vous faisait raconter votre vie. Elle vous donnait l’impression, au moment où elle vous parlait, que vous étiez la personne la plus importante de sa journée. Lorsque j’ai visité le musée de la Dynastie (musée Belle-Vue, NdlR) elle était présente parce qu’il y avait une manifestation. Et elle m’a dit "Monsieur Bern, vous ne pouvez pas partir. Vous devez rester". J’ai répondu que je n’étais pas en tenue puisque j’étais en jeans. Elle m’a dit "Non non non. Venez entre nous. Il faut que vous restiez et que vous assistiez à tout cela." Certains la présentent sous ce jour un peu sombre, mais ce n’était pas du tout ça. C’était une femme extrêmement riante, souriante, solaire et joyeuse. Elle distillait la joie de vivre autour d’elle. Quant à la musique, elle faisait partie de sa vie. Depuis son enfance, elle passait son temps à en écouter, à danser et à chanter. Lorsque Montserrat Caballé passait en Belgique, elle devait forcément aller chez la Reine qui lui parlait des heures durant de musique classique et d’opéra. C’était une reine qui aimait vraiment la vie et les plaisirs de celle-ci. Il ne faut pas la montrer comme quelqu’un d’austère, de très dur, qui était un peu une duègne espagnole. C’est une grande dame du Gotha qui disparaît. Elle entre dans l’histoire, mais avait-elle besoin de disparaître pour y entrer ? Elle y était déjà, mais à sa manière. Avec beaucoup de modestie. Elle n’aimerait pas, je crois, cette pluie d’hommages qui tombe sur elle aujourd’hui même si elle les mérite amplement. C’est une Reine qui comptera parmi les reines des Belges.