"L’armée dans les rues, c’est une arme à double tranchant"
Pour le sociologue Andréa Rea (ULB), les attentats commis à Paris et celui (ou ceux) déjoué(s) en Belgique sont, a priori, moins de nature à créer un fort sentiment d’insécurité chez les gens que, par exemple, ceux qui ont été commis dans des métros ou un bus à Londres.
Publié le 19-01-2015 à 16h00 - Mis à jour le 19-01-2015 à 16h01
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Pour le sociologue Andréa Rea (ULB), les attentats commis à Paris et celui (ou ceux) déjoué(s) en Belgique sont, a priori, moins de nature à créer un fort sentiment d’insécurité chez les gens que, par exemple, ceux qui ont été commis dans des métros ou un bus à Londres (NdlR : plus de 50 victimes le 7 juillet 2005) ou dans des trains à Madrid (NdlR : près de 200 morts le 11 mars 2004).
"Cette fois, à l’exception notable de ce qui s’est passé dans le supermarché casher de la porte de Vincennes, les attaques étaient "ciblées". Les perquisitions menées en Belgique ont permis d’éviter le pire même si la fusillade de Verviers a pu marquer ceux qui l’ont vécue."
Montrer que l’Etat contrôle la situation
Cela dit, poursuit le professeur Rea, les événements de ces derniers jours ont, immanquablement, fait croître une certaine impression de crainte au sein de la population, qui s’est rendue compte que la menace pesant sur la Belgique et plus généralement sur l’Europe était plus large que ce qu’elle avait pu imaginer.
Le gouvernement, on le sait, a pris la décision, dans certaines circonstances, de mettre l’armée dans les rues, en appui de la police. Qu’en pense Andréa Rea ?
"C’est une arme à double tranchant. Cette décision fait partie de douze mesures arrêtées par le fédéral. En les prenant, le gouvernement envoie le signal qu’il n’a pas perdu le contrôle de la situation, que les institutions, la loi, l’Etat demeurent capables de maîtriser les choses. Une présence militaire dans les rues participe de cette volonté de montrer à la population que ses représentants agissent. Mais il faut faire attention à ce que ce déploiement ne produise un effet inverse à celui recherché. Trop massif, trop étendu dans le temps, il pourrait donner l’impression qu’on s’installe dans une sorte d’état de siège, ce qui pourrait augmenter la peur de la population."
Celle-ci, poursuit notre interlocuteur, pourrait à la fois ressentir un malaise croissant à la vue de militaires en armes et croire, à la longue, que la menace terroriste augmente en raison du maintien des militaires dans nos villes.
Attention aux amalgames
Andréa Rea n’écarte pas non plus le danger "démocratique" que le recours à l’armée représente potentiellement. "Une réponse sécuritaire contient, en germe, le risque d’une atteinte aux libertés individuelles. Les mesures décidées vendredi pourraient entraîner des atteintes à la vie privée, un déficit en matière de respect des droits de l’homme. Il faut garder cette dimension des choses en tête."
Andréa Rea craint aussi qu’une partie de la population soit encouragée à reprocher à une autre, la communauté musulmane pour ne pas la nommer, le fait que les autorités aient dû se résoudre à prendre des mesures contraignantes pour tout le mode.
"La situation actuelle engendre, en effet, une certaine tension. Et un climat de cette nature ne crée pas les conditions d’une plus grande tolérance. Les risques d’amalgame sont donc présents. Celui de voir la communauté musulmane, à laquelle il est de plus en plus demandé de se justifier de comportements dont elle n’est aucunement responsable, se replier sur elle-même existe aussi."
Pour le sociologue, le discours des autorités se doit d’être clair. Les mesures qu’elles décident ne peuvent fonctionner que si elles s’accompagnent d’un discours de nature à encourager la tolérance des uns vis-à-vis des autres.
Il ne faudrait pas, précise-t-il, en arriver à la situation vécue entre les deux guerres, quand les Juifs étaient victimes d’opprobre et étaient en même temps considérés, en tant que communauté, comme responsables de toute une série de dérèglements.
Ne pas créer de boucs émissaires
Placer une communauté en état d’infériorité, considérer la religion musulmane comme moins légitime que les autres cultes, ce serait à la fois stigmatiser injustement un groupe social en tant que tel et encourager chez certains de ses membres la radicalisation que l’on entend précisément combattre, observe, en substance, le professeur.
Pour qui, il serait également dangereux de cibler exagérément des lieux précis. Surveiller des sites sensibles soit mais, par exemple, boucler des villes comme Verviers, Molenbeek ou Anvers parce qu’on y aurait découvert quelques foyers de jihadistes présumés pourrait produire de très néfastes effets.