La faillite de Molenbeek, fief de Philippe Moureaux
Les comptes de la commune de Molenbeek témoignent d’une gestion affligeante. Analyse.
Publié le 19-04-2015 à 16h15 - Mis à jour le 20-04-2015 à 15h18
:focal(465x240:475x230)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/5GH7VKBBP5AD7DRADP76ICVFRQ.jpg)
La commune de Molenbeek-Saint-Jean, 95 000 habitants, est au bord de la faillite. Un bilan dramatique lié à l’évolution de sa démographie, à la crise. Mais aussi et surtout à la gestion passée de cette entité bruxelloise, connue comme le fief du socialiste Philippe Moureaux. Ce dernier, mis dans l’opposition lors des dernières élections communales par une coalition MR-Ecolo-CDH, en fut le puissant bourgmestre de 1992 à 2012. Dans les coulisses molenbeekoises, on se rappelle volontiers que c’est lui et son cabinet qui décidaient du budget. Ce qu’il conteste. Reste qu’aujourd’hui, il reviendra à la Région d’éponger les dettes de la commune. Celle-ci est en discussion avec Molenbeek depuis des mois.
"La Libre" a pu consulter une série de documents détaillant les problèmes financiers de la commune. Ils jettent un fameux discrédit sur sa gestion passée. Molenbeek a tout simplement vécu au-dessus de ses moyens, y relève-t-on. A tel point que sans coup de pouce régional, elle ne sera bientôt plus en mesure de payer ses fonctionnaires, les banques rechignant à financer des dépenses courantes. Molenbeek, dont la trésorerie est exsangue, minée par les dettes, est en situation de banqueroute. Comment en est-elle arrivée là ?
1. Des engagements de personnel inconsidérés. La commune s’est lancée dans une politique d’augmentation du personnel non enseignant qui a culminé en 2012, année électorale. Cette année-là, elle employait 1 346 personnes. L’année précédente, ce nombre était de 1 295 et en 2009, de 1 240. Le personnel pour 1 000 habitants est passé de 11,3 en 2005 à 14,3 en 2012 pour redescendre à 13,6 fin de l’année dernière. Pourtant, en octobre 2011, la tutelle régionale attirait l’attention de la commune sur cette évolution dangereuse pour les comptes de Molenbeek. Charles Picqué (PS), alors ministre-président bruxellois, écrivait personnellement à Philippe Moureaux au sujet des comptes de 2010. "Cet exercice voit un accroissement des dépenses de 4 % par rapport aux comptes de 2009 et de 9 % par rapport aux dernières modifications budgétaires, soit un montant de 4,2 millions d’euros, écrit Charles Picqué. Le personnel en activité a augmenté de 9 % par rapport à l’exercice précédent et de 11 % par rapport au budget. Face à cette situation, nous vous invitons ardemment à geler le recrutement et à réfléchir à un plan de gestion des dépenses de personnel afin de maîtriser celles-ci dans les plus brefs délais." Les chiffres de 2012 en témoignent, le bourgmestre de Molenbeek s’est royalement assis sur ces recommandations. Ce qui n’a pas suscité plus de réactions de la Région. Charles Picqué le relève aussi, Molenbeek engageait sans que ces dépenses de personnel ne soient notées au budget. Montant "non imputé" : quelque 9 millions d’euros entre 2010 et 2012. Pire, en 2012, sur 107 millions d’euros de dépenses, seuls 28 étaient imputés. Une véritable purée de pois comptable qui explique notamment, selon les autorités en place, le temps qu’il a fallu pour se rendre compte de l’ampleur des difficultés. Les documents relèvent globalement une "sous-budgétisation" structurelle des dépenses de la commune.
2. Des subsides qui n’arrivent pas. La capacité de Molenbeek à financer des investissements grâce à des subsides s’est révélée moins fructueuse que prévu. La commune n’est pas toujours parvenue à justifier ses demandes pour des travaux en voiries, dans les écoles et les infrastructures sportives. Ce qui s’est traduit par une différence entre le montant des subsides inscrits au budget et le montant des subsides effectivement perçus. Ce différentiel s’élève, entre 1995 et 2012, à plus de 15 millions d’euros. Les documents pointent encore une pratique consistant à financer ces investissements en mal de fonds sur la trésorerie destinée au fonctionnement de la commune. Une hérésie comptable.
3. Une dette qui explose. Dans sa lettre de 2011, Charles Picqué interpelle Philippe Moureaux sur la dette (à long terme) de la commune : "Celle-ci augmente de 17 % et s’élève à 72 922 158 euros." Elle était inférieure de plus de 22 millions d’euros en 2007, pointe le ministre-Président. Pour compenser ses problèmes d’imputation de dépenses et de subsides non perçus, Molenbeek a aussi emprunté à tour de bras pour son fonctionnement non sans faire fondre comme neige au soleil ses réserves financières (9 millions d’euros en cinq ans). La dette à court terme a ainsi triplé entre 2011 et 2012, passant de 21 à 66 millions d’euros. Elle s’élevait en décembre dernier à 78,5 millions.
4. Accompagnement. La commune de Molenbeek a donc demandé un plan d’accompagnement à la Région de Bruxelles-Capitale qui doit encore statuer sur celui-ci. Il s’agit en clair d’éponger les déficits (24 millions par an entre 2015 et 2017) pendant que la commune fera des efforts tous azimuts pour réduire ses dépenses. Les centimes additionnels sur le précompte immobilier seront fortement augmentés mais compensés par un remboursement pour les propriétaires habitants. "Nous le voyons comme un processus positif pour la commune qui sera à nouveau en équilibre en 2018, les discussions avec la Région sont constructives", témoigne Françoise Schepmans, bourgmestre MR de Molenbeek qui refuse de commenter les erreurs de gestion commises par le passé. La libérale souligne que l’ensemble des administrations dépendant de sa commune sont prêtes à faire des efforts.
Philippe Moureaux : "Une bande d’amateurs"
Réaction. Contacté ce week-end, Philippe Moureaux insiste : il n’est forcément plus au fait des détails financiers de la commune de Molenbeek qu’il a longtemps gérée. Mais il conteste vigoureusement toute faillite dans son chef. Rappelant que l’échevinat des Finances était, à l’époque de son dernier mandat maïoral, assuré par une libérale, il estime que l’idée qu’il contrôlât la commune tout seul et d’une main de maître relève d’un fantasme propagé par l’ensemble de ses opposants. "C’est l’échevine qui faisait une proposition de budget et puis cela passait au collège." Il ajoute encore : "C’est un écran de fumée… si les journalistes gobent cela comme des mouches…", pique-t-il. "J’ai hérité d’une commune en difficulté, j’ai été vingt ans bourgmestre et je l’ai maintenue en équilibre", explique-t-il. "Ils (la majorité actuelle, NdlR) découvrent soi-disant cela après trois ans, cela ne vous étonne pas ? Cette bande d’amateurs a été incapable de redresser la barre, voilà tout." L’ex-bourgmestre et ex-patron de la Fédération bruxelloise du PS admet cependant que sa commune était en difficulté budgétaire au terme de son mandat, qui s’est achevé après les élections communales de 2012, dans un contexte que personne n’a oublié.