La Communauté française condamnée pour son application du décret inscription
Elle doit verser 5 000 euros de dommage moral aux parents d’une élève à haut potentiel.
Publié le 22-04-2015 à 19h29 - Mis à jour le 23-04-2015 à 06h53
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En 2010, le décret inscriptions de la Communauté française entrait en vigueur. C’est aussi l’année où Anna (prénom d’emprunt) terminait sa 6e primaire. Cette jeune élève bruxelloise est une enfant à haut potentiel et très sensible, scolarisée dans un établissement appliquant la pédagogie Decroly. A l’heure de faire un choix d’école secondaire, ses parents estiment que la meilleure option est d’assurer une continuité pédagogique. Ils optent, en premier choix, pour l’école Decroly à Uccle.
Mais voilà, l’établissement est très prisé et ne peut proposer à Anna une place en ordre utile. Elle est donc mise sur liste d’attente et c’est la Ciri (commission interréseaux des inscriptions) qui va traiter son cas. Les parents l’apprennent, par courrier, le 18 juin 2010.
Dès le lendemain, la mère d’Anna introduit une demande en révision pour causes exceptionnelles auprès de la Ciri. Elle argue du fait qu’Anna étant une enfant à haut potentiel, il est nécessaire qu’elle soit inscrite dans une école à pédagogie active. La Ciri lui répond qu’elle est occupée à traiter, et jusque début juillet, plusieurs dizaines de cas exceptionnels. Anna se retrouve maintenue en liste d’attente.
Seule solution : l’école à domicile
Entre-temps, la mère d’Anna, médecin spécialiste en milieu hospitalier, décide d’anticiper un refus définitif d’inscription dans une des deux écoles de leur choix. Elle présente sa démission afin de s’occuper elle-même de la scolarité de sa fille à la maison. Elle réitère sa demande d’information au sujet de l’attribution d’une place à Anna. La Ciri n’apportant qu’une réponse évasive, les parents de la jeune fille entament une procédure judiciaire.
Ils citent la Communauté française en référé et demandent des dommages et intérêts pour permettre de scolariser Anna à domicile, qu’elle prenne une décision définitive sur leur demande d’inscription et, en cas de refus d’inscription, une condamnation de la Communauté française à leur communiquer la liste des écoles disposant encore de places et leurs projets pédagogiques. Le tribunal jugera la requête recevable mais non fondée.
Le 8 juillet, une mauvaise nouvelle tombe : la Ciri décide qu’Anna n’est pas un cas exceptionnel. Malgré son haut potentiel, elle pourrait s’épanouir dans d’autres écoles que celles choisies par ses parents. Ces derniers ne baissent pas les bras et attaquent la Communauté française devant le tribunal de première instance. Ils réclament des dommages et intérêts et veulent que leur préjudice moral soit reconnu. Comme en référé, leur demande est jugée recevable mais non fondée.
Finalement inscrite à Decroly
Et voilà que survient un nouveau rebondissement : le 2 septembre 2010, Anna se retrouve ("comme par miracle", disent Me Leroy et Me Sintzoff, les avocates de la famille) inscrite à l’école Decroly. Elle peut, dès le lendemain, suivre les cours dans l’école de son premier choix où elle poursuit d’ailleurs, à l’heure actuelle, sa scolarité. Le combat judiciaire de ses parents n’est toutefois pas éteint. "Pour le principe et non pour des raisons financières, pour que cela serve à d’autres, pour dénoncer une façon de gérer l’enfance avec un total déni des réalités de cette enfant", ils veulent obtenir gain de cause face à la Communauté française.
Cette fois, l’affaire est portée devant la cour d’appel de Bruxelles. Elle a rendu son arrêt le 11 mars dernier et, 5 ans après les faits, elle condamne la Communauté française à verser aux parents d’Anna 5 000 euros pour dédommagement moral, auxquels s’ajoutent plus de 1 500 euros de frais de procédure.
Une interruption "inexplicable"
Dans son arrêt, la cour reconnaît que la Ciri a tardé à communiquer sur la situation d’Anna et, "plus inexplicable encore, elle a interrompu ses travaux pendant plusieurs semaines à partir du début du mois de juillet, en laissant dans l’expectative d’une attribution plusieurs dizaines, sinon plusieurs centaines de familles". La cour n’établit pas le préjudice matériel subi par les parents; par contre, elle souligne que "la longue période d’incertitude dans laquelle les appelants et Anna ont été plongés pendant plusieurs semaines fut certainement pour eux une cause sérieuse de stress, d’inquiétude et de perturbation."
"La Communauté française peut encore se pourvoir en cassation pour tenter de casser, sur un motif de droit uniquement, l’arrêt de la cour d’appel. En attendant, celui-ci est exécutoire jusqu’à nouvel ordre, c’est-à-dire pendant au moins 5 ans", précisent les avocates de la famille. "La Communauté française étant jugée fautive dans son application du décret inscriptions, elle va maintenant devoir trouver des solutions sur mesure pour les enfants à particularité, comme être haut potentiel, et respecter les délais d’information aux parents", ajoutent-elles.
Dit autrement, l’intérêt supérieur des élèves de 6e primaire primera désormais sur les vacances d’été des membres de la Ciri.