L'école à la maison, c'est un mode de vie
En Fédération Wallonie-Bruxelles, près de 900 enfants et adolescents sont actuellement scolarisés à domicile. Rencontre avec une maman de trois enfants qui a fait ce choix.
Publié le 23-04-2015 à 20h04 - Mis à jour le 23-04-2015 à 20h41
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Joëlle Martin est mère de six enfants âgés de 3 à 17 ans. Hormis le petit dernier, encore non soumis à l’obligation scolaire, tous sont scolarisés à domicile. A sa demande, l’aînée est toutefois retournée à l’école cette année pour préparer le jury central. Joëlle Martin, avec d’autres parents qui ont choisi cette voie, a lancé il y a moins d’un mois Eduqualis, une association de soutien et de promotion à l’école à domicile en Belgique francophone. Elle compte actuellement une trentaine de membres. "On avait le désir de créer une association depuis longtemps et tout s’est accéléré quand la ministre de l’Education a annoncé son projet de faire évoluer la situation de l’école à domicile. Nous sommes pour une réforme et se constituer en association nous permettra d’être des interlocuteurs" , explique Joëlle Martin, au nom d’Eduqualis.
L’association demande une révision de la législation
Favorables à une réforme, oui, mais en quoi ? "La législation actuelle ne correspond pas aux besoins des enfants. La déclaration doit être rentrée avant septembre. Quand il y a un problème de décrochage scolaire en milieu d’année, c’est supercompliqué d’obtenir à ce moment l’autorisation de scolarisation à domicile. De plus, dans le cas d’enfants souffrant par exemple de phobie scolaire et retirés de l’école, c’est ingérable psychologiquement pour eux d’avoir à passer le jury central à Bruxelles, dans des locaux inconnus, en compagnie d’une centaine d’élèves. Ils sont confrontés aux codes de l’école , précise Joëlle Martin. L’instruction en famille a besoin d’un contrôle de l’Etat mais peut-être pas autant. Il faudrait que l’Etat soit plus partenaire que sanctionnateur et qu’on s’adapte aux besoins de l’enfant." Eduqualis estime encore qu’on devrait accorder plus de place dans les apprentissages à ce qui intéresse les enfants au lieu de s’en tenir aux stricts programmes.
Un site Internet bientôt opérationnel
Le site Internet d’Eduqualis est en chantier. Sa page d’accueil a été créée (1) et le reste du contenu suivra sous peu (2). On pourra y trouver des informations légales, des questions/réponses, des liens vers des études portant sur l’école à domicile et un agenda des activités organisées pour et par les familles qui scolarisent leurs enfants à la maison. Elles sont ouvertes à toute autre personne intéressée. L’idée est de renforcer le réseau qui existe de manière informelle. I.L.
(1) ief-be.imingo.net
(2) www.eduqualis.be
S’instruire en "classe", dans le jardin et au musée
La journée des enfants de Laurence Binon démarre toujours de la même manière. Avec des pièces colorées aux formes géométriques, ils composent au sol, selon l’inspiration du moment, un mandala. "Je les prends en photo tous les jours" , signale Laurence Binon. La maman d’Ethan (14 ans), Milie (12 ans) et Eiaël (7 ans), psychopédagogue de formation, ex-enseignante et directrice d’école, a pris la décision il y a 7 ans de scolariser ses enfants à la maison.
Tout a commencé quand Ethan, "un garçon extrêmement sensible" a eu des problèmes à l’école. "Il était harcelé par son institutrice. Puis, en première primaire, il a développé une phobie scolaire. Il piquait des crises de larmes; il proférait des menaces de tentatives de suicide. Quand j’étais enceinte d’Eiaël, j’avais croisé une famille qui avait fait le tour du monde pendant un an et scolarisé leurs enfants à distance. Avec mon mari, on s’est demandé si je devais prendre un congé professionnel pour m’occuper d’Eiaël. On a décidé que je ferais l’école à la maison" , raconte Laurence Binon.
Les critiques fusent
Ce choix n’ira pas sans beaucoup d’angoisse pour les parents et de critiques. "On m’a dit : "Tu vas les surprotéger, il va y avoir un problème de fusion. L’école, c’est l’école de la vie". Ça n’a pas été facile à gérer et les débuts ont été difficiles. Ethan avait une phobie scolaire, non seulement de l’institution mais aussi des matières. On réalise que faire du scolaire à la maison comme on en fait à l’école, ça ne va pas." A 12 ans, Ethan s’est réinscrit à l’école. "Maintenant, il y est bien et ne veut plus de l’enseignement à domicile. Il a fait le choix de la bande de copains."
La décision de ne pas ou de ne plus inscrire ses deux autres enfants s’est prise de façon différente. "Milie est allée à la maternelle mais elle ne faisait pas beaucoup de progrès. On l’a retirée de l’école mais elle a voulu y retourner. On a dit oui. Puis on a découvert qu’elle était dysphasique (un trouble de la communication verbale, NdlR). Elle a donc été orientée vers l’enseignement spécialisé mais ça ne s’est pas bien passé. Elle a émis le souhait de ne plus aller dans cette école. Elle sentait qu’elle avait un potentiel non exploité. On l’a alors scolarisée à la maison." Quelque temps plus tard, Milie a voulu retourner à l’école. "Ce n’était plus possible d’aller dans l’enseignement ordinaire pour y développer ses potentialités."
Avec Eaïel, le petit dernier, Laurence Binon et son mari ont choisi pour lui, quand il était encore très jeune. "Il n’est jamais allé à l’école, n’a jamais demandé à y aller et nous en voyons tous les bénéfices."
Liberté et créativité
La mère de famille s’est tournée vers des formes d’éducation non conventionnelles comme la théorie des huit types d’intelligence, pour construire son école à la maison. Les maîtres-mots, ce sont la liberté, la découverte, la créativité. "Je ne donne jamais de leçons ex cathedra. Je n’en vois pas l’intérêt. Il n’y a pas d’horaires mais sur une semaine, nous essayons de travailler chacun des huit types d’intelligence en fonction des besoins et des domaines de compétences de nos enfants." Les cours d’éveil se passent au jardin ou dans les musées, ceux de français utilisent par exemple des méthodes Montessori pour apprendre la grammaire. De petits voyages sont l’occasion de se pencher sur l’histoire et la géographie. "Pour les maths, on utilise des outils comme le jeu Fractionary et ses formes en mousse qui permettent d’étudier les proportions, la géométrie, les formes, les volumes, les fractions" , explique Laurence Binon. Bricolage et travail de ses mains sont régulièrement au menu. L’apprentissage des matières se mélange, un cours de maths peut être l’occasion de faire du français. Et les enfants sont autonomes. "Il n’y a pas de routine. Ils gèrent leur temps et leur apprentissage."
Une "vraie" salle de classe à l’étage
A l’étage de sa coquette maison de Bierges, Laurence Binon a aménagé une salle de classe assez classique. On y trouve une mappemonde, un boulier, des tableaux de conjugaison, de multiplication… "Cette pièce, c’est plus pour "jouer à l’école", formaliser tout ce qu’on a appris. Les enfants ont parfois besoin d’y venir pour être structurés" , souligne-t-elle.
Pour la maman d’Ethan, de Milie et d’Eiaël, "l’école à la maison, c’est devenu un mode de vie" . La famille a dû consentir à quelques sacrifices. "Je me sens privilégiée mais on a réduit notre train de vie de façon drastique." La maman balaie les critiques, souvent formulées, du manque de socialisation dont souffriraient les enfants scolarisés à domicile. "On forme un réseau, on fait beaucoup d’activités ensemble. Mes enfants sont très épanouis, ancrés dans la société, ouverts sur les autres et le monde."
Comment est organisée l’instruction en famille ?
Mode d’emploi. En Belgique francophone, l’école n’est pas obligatoire, c’est l’instruction qui l’est. Les parents qui font le choix de l’instruction en famille, selon la terminologie officielle, doivent remplir, avant la rentrée de septembre, une déclaration d’enseignement à domicile valable pour une année scolaire. Ils n’ont pas besoin de motiver leurs raisons. Cela pourrait changer puisque Joëlle Milquet, la ministre CDH de l’Education, a annoncé début mars qu’elle souhaitait durcir par décret les règles de l’instruction en famille. Les parents seraient tenus de justifier leur choix et les raisons religieuses seraient interdites. Les cours donnés à domicile ne sont pas soumis à des règles d’horaires de cours ni de supports d’apprentissage. Les enfants peuvent être instruits seuls ou en groupe, par un de leurs parents ou une tierce personne. Ils sont par contre tenus de passer des contrôles, à 8 et 10 ans, qui se déroulent dans un lieu extérieur (souvent une école), afin de s’assurer que leur niveau est au moins équivalent à celui des enfants scolarisés. Si le niveau d’études n’est pas jugé satisfaisant par le Service général de l’inspection, un nouveau contrôle est organisé dans les deux à six mois. En cas d’échec, l’enfant doit être inscrit dans une école pendant au moins une année scolaire. Les adolescents doivent aussi passer les épreuves certificatives, à 12 ans (CEB), 14 ans (CE1D) et 16 ans (CE2D). Le CESS se passe par le jury central. On peut obtenir des dérogations à ces contrôles et épreuves pour des raisons de maladie, de troubles de l’apprentissage et du comportement ou de handicap. I.L.